[MÀJ du 21 octobre 2013] Le Festival International de Journalisme de Pérouse choisit le crowdfunding pour continuer
Ce lundi 21 octobre au matin, les deux cofondateurs du Festival International de Journalisme, Arianna Ciccone et Chris Potter, ont annoncé qu’ils souhaitaient au bout du compte continuer l’aventure du Festival.
La question clé est celle du financement. Comme l’a nettement dit, A. Cicconne au cours d’une conférence de presse, il n’est plus question pour les organisateurs de faire la mendicité. En sept ans, la région, la ville de Pérouse et la Chambre de commerce ont subventionné le festival à hauteur de 670.000 euros, soit moins de 100.000 euros par an, ce qui est totalement insuffisant pour une manifestation de cette envergure [le coût de l’organisation est estimée à environ 600.000 euros par édition !]. Les organisateurs ont aussi décidé de refuser une aide de 160.000 accordée à la dernière minute par la région pour continuer le festival. « Nous demandons du respect et de la dignité », a dit A. Cicconne.
Désormais, les organisateurs préfèrent compter sur leurs propres forces. Pour cela, ils vous lancer très bientôt un appel au crowdfunding [sans doute sur la plateforme Kisckstarter] pour financer la manifestation et espère aussi s’appuyer auprès de sponsors.
Il est en tout cas très probable que le Festival -s’il réussit à se maintenir- va quitter Pérouse, pour s’installer dans une autre ville, sans doute Bologne. Mais pour l’instant wait and see. [Plus de détails ici et là et sur Twitter suivre le compte #ijf14]
- Leonarda au bûcher des médias
- La fin du Festival international de Journalisme de Pérouse
- Le lancement de Must Eat à La Gazzetta
1. Leonarda au bûcher des médias
Autant le dire franchement avec l’affaire Leonarda, le petit monde des médias est cul par dessus tête. De mon souvenir, je n’avais pas connu un aussi grand n’importe quoi que lors de la couverture de l’affaire Grégory, ce petit garçon assassiné, dont le corps avait été retrouvé dans la Vologne. C’était il y a maintenant près de trente ans (1).
Avec Leonarda, nous avons tout sans aucune retenue: des photos d’une mineure publiées partout, en oubliant le droit à l’image [cf., par exemple l’article 39bis de la loi de 1881] ses interviews comme si l’on avait affaire à une adulte [exemple ici] et ci-dessous
car, il s’agit d’une mineure et ici je me range à l’avis de Maître Eolas
Voir une jeune fille de 15 ans livrée en pâture aux médias. Il n'y a que moi qui me souviens qu'elle est mineure ?
— Maitre Eolas ✏️ (@Maitre_Eolas) October 19, 2013
Dans cet emballement, il ne faut pas oublier les lives installés sur les sites pour suivre, les manifestations lycéennes [oubliant que les vacances scolaires commençaient un ou deux jours plus tard], des sondages effectués « à chaud » [ici, celui commandé par Le Parisien à BVA], sans aucun souci des répercussions sur cette adolescente comme l’a remarqueé sur Twitter, ce journaliste du Monde
Ça doit être sympa qd à 15 ans tu lis que 65% des gens du pays où tu vis ne veulent pas que tu reviennes après avoir été expulsée #leonarda
— Thomas Wieder (@ThomasWieder) October 19, 2013
Ce pataquès était sans doute inévitable, et ce pour plusieurs raisons:
- un contexte émotionnel et politique très fort. Émotionnel, car tout le monde a en mémoire les terribles images et récits du drame de Lampédusa [reportage de RFI à écouter], mais aussi politique, car il est impossible de faire abstraction du débat maintenant récurrent sur les Roms, et qui constitue la toile de fond de cette affaire.
- la double contrainte. Leonarda place tout le monde et en particulier les médias dans une « double contrainte », pour reprendre le concept défini par l’anthropologue Gregory Bateson (2). D’un côté, sur le plan humanitaire et émotionnel, il faudrait que l’expulsion soit annulée et que Leonarda revienne en France reprendre sa scolarité. Et d’un autre côté sur le plan administratif et politique ce retour est impossible [c’est en particulier ce que rappelle le sondage Le Parisien-BVA]. Celui qui a le mieux exprimé cette double contrainte est… François Hollande avec sa proposition, qui peut se résumer ainsi : « Leonarda, revenez en France, mais seule, sans famille ». Mais les médias ont aussi été pris dans cette tension.
- une expulsion, menée dans des conditions particulières : arrestation menée de manière isolée, hors du cadre familial. Elle sera faite lors d’une sortie scolaire, avec pour augmenter la charge symbolique, le fait que celle-ci s’est faite sur le parking d’un collège baptisé du nom d’une grande résistante Lucie Aubrac.
À cette première série de raisons s’en ajoute d’autres qui concernent plus directement les médias:
- le glissement irréversible des médias vers une forme de tabloïdisation. À cet égard, l’affaire Leornada présentait tous les ingrédients nécessaires à un bon sujet en particulier parce que la « victime » se trouve être une jeune fille, mineure. Les expulsions concernant des adultes attirent moins l’attention. Par exemple, celle du père de Leonarda peu de temps auparavant n’avait eu aucun écho. Or, l’une des règles incontournable du journaliste tabloïd est de chercher à incarner un problème à travers une personne, ce qui permet de mieux « titiller » le public [les anglo-saxons disent: « Tickle the Public »].
- la généralisation de l’information en flux [chaînes d’info en continu, live sur les sites, etc.] et en push [via les flux RSS, les alertes sur les smartphones, etc.]. Ce type d’information est journalistiquement extrêmement dangereuse, car elle oblige à une alimentation continue, y compris lorsque l’on n’a pas grand chose à se mettre sous la dent. Cette forme d’information « en charpie » a deux défauts:
- le journaliste (ou sa rédaction) court après l’information, ce qui veut dire qu’il pourra à un jour de distance, voire à quelques heures, être contradictoire. Sans doute, faut-il admettre que dans ce cas, nous assistons à « l’information en train de se faire », et ajouter cyniquement « qu’une erreur suivie de son démenti, cela fait deux informations », mais au bout du compte cela mine la crédibilité des médias établis [main stream] qui se sont construits sur le discours, « chez nous l’information est vérifiée ». [Par exemple, la professeur qui était dans le bus avec Leonarda, a cru avoir au téléphone le maire du Levier, ce qui a été repris par de nombreux médias sans vérification, avant d’être démenti plus tard. Lire par exemple la fin de cet article du Huffington Post]
- elle rend extrêmement difficile toute contextualisation. Cela ne veut dire, qu’aucun effort n’est fait dans ce sens, mais la contextualisation doit suivre le même rythme que le flux d’infos, qui par définition est difficilement contextualisable. On retrouve ici, ce qui est aujourd’hui un classique: le fact-checking en live.
- la concurrence accrue. La concurrence a toujours existé entre médias, mais aujourd’hui elle a changé de dimension avec la généralisation de l’information en flux, et surtout l’apparition des réseaux sociaux. La rapidité de publication se traduit par un meilleur référencement et une plus grande visibilité sur les réseaux sociaux. De facto, elle est devenue une donnée fondamentale, malheureusement le fossé entre la vitesse et la précipitation est étroit.
- les médias ne sont plus seuls. On oublie cette dimension, mais désormais les acteurs ont des moyens d’informer directement le public, ce qui accroit encore la pression concurrentielle sur les médias. C’est le cas de deux d’entre eux:
- le Réseau Éducation Sans Frontière, qui dispose de son site extrêmement réactif et qui dispose de nombreux relais tant chez les enseignants que chez les parents d’élèves, ou encore les associations, syndicats et autres partis politiques.
- le gouvernement et l’administration. Tous deux ont appris aussi à fonctionner en flux. La rapidité avec laquelle le rapport de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) a été mis en ligne est proprement confondante, mais surtout, le ministère de l’Intérieur en a rendu l’accès aisé au grand public.
- Twitter. Avec ce type d’événement, Twitter est devenu LE lieu de l’information et non plus les médias eux-mêmes. Il faut en effet un carrefour où tout, informations vérifiées, rumeurs, opinions puissent se croiser, s’échanger. Cet espace mouvant, où les repères se dissolvent aussi vite qu’ils apparaissent en raison du système de publication en flux, est un parfait résumé de l’état de l’information aujourd’hui.
Notes
- la page Wikipedia résume correctement l’affaire, mais il faut surtout lire Le Bûcher des innocents, [Les Arènes, 2006] écrit par Laurence Lacour, qui retrace l’histoire, mais qui est aussi une réflexion sur les médias et le comportement des journalistes.
- Pour en savoir plus sur les travaux de Gregory Bateson, on peut lire sa fiche Wikipedia (en anglais) surtout pour les références que l’on y trouve, et plus particulièrement sur la notion de double contrainte un magnifique exemple tiré de l’album Astérix en Corse
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2. La fin du Festival international de journalisme de Pérouse
Le Festival de journalisme de Pérouse était devenue en quelques années l’un de ces lieux, comme on se plaît à dire, « incontournables » dans la réflexion sur l’évolution du journalisme et des médias. Il faut hélas aujourd’hui en parler en passé, ses organisateurs ayant décidé de jeter l’éponge.
L’idée du festival est née un peu par hasard. Un après-midi, Arianna Ciconne, qui s’ennuyait, proposa à Chris Potter d’organiser « un festival international de journalisme ». Le festival était né et il devait rapidement grandir. Ariana Ciconne raconte :
Dès la deuxième édition quelque chose de magique s’est créé: des gens voulaient participer avec leurs idées, leurs propositions (mythiques «gens du web»). C’était l’économie du don.
Aujourd’hui, difficile de recenser tous ceux qui sont passés par Pérouse pour parler et échanger sur le journalisme. Pêle-mêle on peut citer Steve Buttry, Emily Bell, Andy Carvin, Paul Steiger, Alan Gore, Julian Assange… la liste est infini. Difficile aussi de retracer l’ambiance de ce festival due à la géographie si particulière de Pérouse, ville d’histoire magnifique, qui permettaient le regroupement en son centre de tous les événements, et faisaient que tous les participants pouvaient facilement se rencontrer.
Mais l’équilibre entre un festival qui a grandi et des budgets en réduction semble aujourd’hui rompu. En tout cas, Arianna Ciconne a décidé de jeter l’éponge « au sommet »:
Le festival devrait continuer à croître, à innover, à s’améliorer. Les budgets modestes de ces dernières années ne sont plus viables. Faire le festival à tout prix, peut-être réduire les invités et le nombre de jours n’est pas acceptable. Ou il s’améliore ou il s’arrête.
Il ne reste à espérer -sans trop y croire- qu’il ne s’agit que d’une pause
Pour aller plus loin
- Le site du festival reste actif ainsi que le compte twitter
- Je m’étais rendu à Pérouse, lors de la 4e édition de 2010. On peut retrouver ce que j’avais écrit à l’époque ici, là, encore là, ou encore là. Ces articles avaient alors été repris par Owni.
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3. Must Eat ! à La Gazzetta
Il y a des invitations qui ne se refuse pas. Lorsqu’une ancienne stagiaire, aujourd’hui journaliste à GQ, vous propose de participer au lancement de son livre Must Eat!, consacré à la nouvelle cuisine et à la street-food (1), impossible de refuser. Ce l’était d’autant plus que cet événement se tenait à La Gazzetta. Tous ceux qui se piquent de cuisine connaissent cette adresse du 12e arrondissement de Paris (à côté du Marché d’Aligre) tenu par un jeune chef suédois, Petter Nilsson. Le trop bref aperçu de sa cuisine à la fois simple, gourmande, sophistiquée et élégante qu’offrait le cockail de lancement du livre, ne pouvait que donner envie d’y retourner.
Mais l’essentiel n’était pas là. Marie Aline, l’auteure de Must Eat!, peut bien écrire dans sa présentation de La Gazzetta
Ne vous fiez surtout pas au nom du restaurant pour savoir pour savoir ce que vous aurez dans l’assiette. On peut tout au plus faire l’analogie entre les nouvelles fraîches du matin, vouées à être oubliées, et le processus créatif du cuisinier : « Je ne prends aucune note de ce que j’ai déjà fait mais uniquement des choses pour me souvenir de ce que vais faire: des idées futures »…
Il est difficile de ne pas attirer un journaliste dans un restaurant si bien nommé, puisqu’il reprend le nom des tous premiers journaux tels qu’ils étaient publiés à Venise. Voici ce que dit Eugène Hatin, le premier historien de la presse française :
Au temps des guerres contre les Turcs, le gouvernement de Venise, pour satisfaire la légitime curiosité des citoyens, faisait lire, dit-on, sur la place publique, un résumé des nouvelles qu’il avait reçues du théâtre de la guerre, et on donnait une petite pièce de monnaie appelée gazetta pour assister à cette lecture, ou pour prendre connaissance de ce qui avait été lu, ou encore, selon d’autres, pour acheter le cahier où ces nouvelles étaient consignées: de là le nom de gazettes appliqué aux feuilles contenant des nouvelles.
Voilà la tradition, et il serait presque à désirer qu’elle fût vraie: ne serait-il pas curieux, en effet, que le journal moderne, ce raisonneur bruyant et bavard, cet instrument de discussion et de publicité, soit né, ait bégayé ses premiers mots, dans un pays qui avait fait du silence le dogme fondamental de sa politique? N’eût-il pas été piquant de voir le gouvernement absolu et mystérieux de Venise, le défiant et soupçonneux conseil des Dix, encourager les premiers essais de ces petites feuilles destinées à devenir les plus formidables machines de guerre qui aient jamais été inventées contre l’autorité des gouvernement. (2)
Notes
- Marie Aline, Must Eat !, Éditions La Martinière, Paris, 2013,
- Eugène Hatin, Histoire de la Presse en France, tome premier, Poulet-Malassis et Debroise, Paris, 1859, pp.20-21.