Décidément, l’information a changé. L’histoire de la mort de la chanteuse Lhasa de Sela, ou plutôt de la manière dont son décès a été annoncé est révélatrice des profondes modifications qui sont en cours. Elles obligent les journalistes à réfléchir sur leur mode de travail.
Pour moi tout a commencé sur Facebook. Un ami, Philippe, met en ligne un nouveau statut. Il écrit: « Beau travail de Geoffroi qui recense le chemin d’une information forte – un décès – et ses retournements » et il ajoute un lien. Quand je dis « il écrit », c’est un peu faux car en fait il s’agit d’un retweet. Nous sommes déjà dans la circulation de l’information, mode web 2.0.
Piqué de curiosité, je clique sur le lien et découvre le formidable billet de Geoffroi Garon, qui se définit comme « expert conseil et anthropologue du web social ». Ce post titré « Les médias sociaux et le décès de Lhasa de Sela », raconte et reprend tout ce qui s’est passé sur Twitter, sur Facebook, dans la blogosphère, mais aussi dans des médias en ligne à propos de cet événement. Son billet est d’autant plus passionnant que Geoffroi Garon a été partie prenante de la discussion. [le lien est ici].
Dans cette histoire, tout est instructif: comment une information naît sur Twitter, comment se fait la part entre la rumeur et l’information, comment s’établit et se dégage progressivement une vérité alors que les sources officielles restent désespérément muettes, comment internautes et journalistes (mais ils sont dans ce cas particulier aussi internautes) travaillent côte-à-côte, comment la recherche des faits se mélangent avec une grande émotion, etc. Pour toutes ces raisons, IL FAUT lire le billet de Geoffroi Garon.
Mais il porte sur cette affaire le regard d’un conseiller en stratégie Internet pour les entreprises. Il m’a semblé intéressant de décortiquer de mon côté l’historique de cet événement en me demandant quelles leçons les journalistes peuvent en tirer. J’ai donc fait un petit travail d’archéologie, pour rechercher ce que s’étaient échangés en temps réel les différent protagonistes, et en reconstituer de mon côté le fil sous la forme d’un slidesshare [voir ci-dessous].
Sur le plan journalistique, j’en tire les enseignements suivants:
– un journaliste doit aujourd’hui être sur Twitter, Facebook, suivre les blogs… Mais il ne doit pas seulement avoir un compte sur les différents réseaux sociaux, il doit aussi en être acteur —et il ne doit pas l’être ponctuellement!—, faute de quoi, il ne fait pas partie de la conversation.
– les twitternautes sont, contrairement à ce que l’on pourrait croire, prudents. Certes, individuellement, ils s’emballent et ont comme premier réflexe de retweeter ce qui leur semble être une information. Mais très vite une forme de « gestion communautaire spontanée » se met en place pour « vérifier » et « sourcer » l’information. Cette gestion peut d’ailleurs être très violente comme le montre la brutalité avec laquelle l’auteur du tweet initial a été traité, ce qui l’a conduit d’ailleurs à essayer d’effacer ses tweets.
– avec Twitter et Facebook la traçabilité de l’information est quasi totale. On connaît le début de l’histoire et tout le détail de ses rebondissements, et surtout il est possible d’en reconstituer la construction. Nous sommes devant un grand livre ouvert que tout un chacun peu explorer. Revers de la médaille, les traces des erreurs, des hésitations restent.
– l’usage de Twitter s’est transformé avec les « conversations ». Je ne le montre pas dans le slideshare que j’ai créé, mais pratiquement tous les fils que j’ai parcouru sont nourris de « conversations ». Par moment j’ai eu l’impression d’être dans un Google Wave! Cette transformation des réseaux sociaux où se créent des « conversations dans la conversation » est à mes yeux un phénomène majeur.
– la distinction entre vie publique et vie privée est devenue encore plus ténue. La source de l’information —et sa confirmation — est venue des pages Facebook de personnes, dont l’une a seulement 29 « amis », ce qui, pour ce réseau social, est peu.
– les journalistes ont conservé un rôle essentiel. Tout au long de cette longue nuit canadienne, où personne ne savait si Lhasa était morte ou non, les journalistes présents sur Twitter ont été un point d’ancrage et ont souvent servi de référence. Ce sont principalement eux qui, par leurs contacts et leur travail, ont patiemment su démêler les fils de la rumeur, pour faire émerger au final ce qui sera l’information.
– les agences et les médias traditionnels doivent réfléchir à leur mode de fonctionnement. Ils sont ici quasiment absents —ou très en retard, ce qui revient au même. C’est d’autant plus anormal, que —je le répète— des journalistes étaient au cœur de la construction de l’information sur Twitter.