Depuis plusieurs mois, Associated Press (AP), la grande agence américaine cherche des solutions pour limiter ce qu’elle appelle le « pillage » de ses contenus mais aussi pour les valoriser. Dans un premier temps, elle s’est contentée de poursuivre ceux qui —estimait-elle— ne respectaient les droits de copyright sur ses contenus. Mais elle est en train de mettre en place une technologie destinée à protéger ses contenus, les suivre et se faire payer. Baptisée AP3P —pour Associated Press « protect » « point » and « pay »— ce nouveau modèle —calqué sur celui de l’industrie musicale— est d’autant plus intéressant à analyser que AP souhaite en faire profiter d’autres médias. Mais l’agence ne se veut pas que défensive. Elle entend contre-attaquer en particulier sur le plan du référencement et prend comme modèle Wikipedia.
1er post : Comment faire payer ses contenus?
2e post: « Protect, Point and Pay »
3e post: Comment valoriser ses contenus?
Nota : les deux derniers posts doivent beaucoup au travail de Zachary M. Seward, du Nieman Journalism Lab. C’est lui qui a rendu public le document définissant la stratégie AP3P, texte que l’agence entendait conservcr confidentiel. [lire ici la série de posts consacrée au sujet sur ce site]
Avant d’aller plus loin, il faut rappeler que le statut de l’Associated Press diffère sensiblement de celui de l’AFP, qui est proche d’un service public. En effet, AP est une coopérative à but non lucratif, qui est la propriété de 1500 quotidiens « papier » américains. Leurs représentants élisent un board, chargé de la diriger. Elle est actuellement présidée par Tom Curley, un ancien haut responsable de l’un des plus grands groupes de presse américain, Gannett, et qui dirigea USA Today (du groupe Gannett), le dernier lancement réussi d’un journal papier aux États-Unis.
Ce statut de coopérative fait que des contenus diffusés par AP peuvent être produits par les membres [journaux] de la copropriété, et que l’ensemble des contenus peut aussi être revendu à des journaux, sites, chaînes de télévision, radios qui ne font pas partie du « club » des 1500 copropriétaires.
Mais la révolution Internet actuelle change la donne, car :
• elle a un fort impact sur le schéma traditionnel qui régit les relations entre AP et ses clients. Traditionnellement, celle-ci est une productrice primaire d’informations qu’elle revend en « gros », à charge pour les autres médias de les reprendre et de les valoriser. Or, AP ne se contente plus de produire de l’information brute —pour faire simple des breaking news—, mais propose aussi des « produits » élaborés: infographies, reportages multimédias, enquêtes… tout cela étant « prêts à la diffusion ». Bref, AP, marche aujourd’hui sur les plate-bandes des autres médias.
• elle déstabilise le modèle économique des médias, qu’il s’agisse de l’agence elle-même, mais aussi de ses clients et, dans le cas précis d’AP de ses « propriétaires », qui sont des quotidiens papie (où les groupes qui les détiennent). Cette déstabilisation explique pour partie [mais pour partie seulement] le mouvement de désafiliation vis-à-vis d’AP qui se produit actuellement aux États-Unis.
• elle entraîne l’apparition de nouveaux acteurs dans le circuit de l’information, en premier lieu en amont. En effet, de nouveaux « producteurs primaires d’information » sont apparus qui la concurrence directement. Ce peut-être des chaînes de télévision comme CNN mais aussi des blogs, des sites de partage de photos ou de vidéos, etc.
Ces nouveaux acteurs sont aussi présents à l’autre bout de la boucle, celui de la consommation des contenus produits par l’agence. Or, nombre d’entre eux [ce n’est pas le cas de Google et d’autres agrégateurs qui ont passé des accords avec AP, et qui la rétribuent pour ses contenus) ne sont pas « abonnés » à l’agence et utilisent librement ses contenus, c’est-à-dire sans la rétribuer, voire sans même la citer.
Dans cet environnement changeant, l’agence réagit de multiple façons: en acceptant des contenus de la part de nouveaux partenaires, mais aussi en adoptant une logique de protection de ses contenus proche de celle adopté par l’industrie musicale, avec dans un premier lieu l’attaque devant les tribunaux de ceux qui utilisent les contenus de l’agence sans en avoir acquitté les droits.
1 – De nouveaux partenaires
À partir du 1er juillet 2009, AP a annoncé qu’elle allait distribuer des contenus produits par 4 organisations non commerciales de journalisme d’investigation —The Center for Investigative Reporting, The Center for Public Integrity, The Investigative Reporting Workshop et Propublica— aux 1 500 journaux qui sont membres de la coopérative. Pour l’instant, il ne s’agit que d’un ballon d’essai, puisque la durée de l’expérience est limitée à 6 mois. Généreusement, l’agence annonce que cela ne devrait rien coûter aux organisations concernées ainsi qu’aux… journaux.
Par cette action —prudente—, AP emboîte le pas de Reuters qui déjà utilise des contenus produits par des blogueurs du réseau Global Voices, mais son approche reste extrêmement prudente.
2 – Quelle définition pour le fair use ?
Il existe aux États-Unis une pratique, qui s’apparente à notre « droit de citation », qui s’appelle le fair use. Il consiste, par exemple, à laisser un blogueur reprendre librement 2 ou 3 lignes d’une dépêche, à condition qu’il n’omette pas de citer sa source, en l’occurrence, Associated Press. Mais le fair use est une notion floue. Que se passe-t-il, si le blogueur cite 5 lignes? Déjà en 2008, AP avait demandé au site agrégateur Drudge Retort de retirer de courts extraits de dépêches, car elle estimait qu’il y avait violation du copyright. L’affaire avait enflammé la blogosphère avant qu’un accord —fragile— soit trouvé [lire : Associated Press, les blogs et le « fair use« ].
Plus récemment, AP s’est de nouveau trouvé au centre d’un polémique en attaquant le graphiste —connu et reconnu— Shepard Fairey, pour son utilisation d’une photo d’Obama prise par un photographe —pigiste— d’AP, Manny Garcia, pour réaliser une série de posters. Shepard d’ailleurs, n’entend pas se laisser faire et vient de contre-attaquer en s’appuyant justement sur la notion de fair use. Volontiers provocateur, il affirme qu’il n’a utilisé cette photo que comme « une référence visuelle dans un but extrêmement novateur (“as a visual reference for a highly transformative purpose.”) Voici ci-dessous la photo originale (d’ailleurs recadrée) et le travail de Shepard Fairey.
[Pour plus de détails sur cette affaire, lire Expensive Gifts sur le site de la Columbia Journalism Review et la position d’AP ici]
3 – L’accord avec iCopyright
En avril 2008, Associated Press passait un accord avec une entreprise spécialisée dans la gestion des droits, la bien nommée iCopyright. L’idée est simple, chacun peut utiliser le matériel d’AP, à condition d’en payer les droits. Pour cela, il suffit de remplir en ligne un formulaire et de régler avec sa carte bleue. Un système simple et souple en apparence. Mais James Grimmelmann, un professeur professeur de droit à la New York Law School, va piéger l’agence, avec un sens de la provocation confirmé. Il va remplir soigneusement le formulaire d’AP comme il le montre dans le document ci-dessous:
Et donc, il va obtenir pour 12$ une « licence » (ci-dessous) lui permettant d’employer 26 mots [160 signes environ, soit l’équivalent d’un update sur twitter] :
Mais problème, l’extrait de dépêche que veut reprendre Grimmelmann est une citation de Thomas Jefferson [ancien président des États-Unis], qui est tombée de puis longtemps dans le domaine public. Autrement dit, selon le professeur AP vend des contenus dont elle n’est pas l’auteur et dont elle ne possède pas les droits.
Bien sûr l’exemple est extrême, et d’ailleurs AP va se désister de son action. Elle va aussi rappeler que ce système ne vise pas les blogueurs individuels [c’est le discours public, mais nous verrons plus loin qu’il en masque peut-être un autre] d’être, mais qu’il a été créé pour faciliter le travail de ceux qui souhaitent obtenir une licence pour du contenu AP. Sans doute, mais James Grimmelmann montre par l’absurde la difficulté d’établir des droits dans le domaine de l’information. Qui est propriétaire de quoi?
– À suivre : La technologie au service du copyright