Le journalisme souffre depuis son origine d’une tare originelle: le journaliste traite des sujets extrêmement précis sans en maîtriser la totalité des tenants et aboutissants, y compris lorsqu’il est spécialisé. Cette situation multiplie les risques d’erreurs et de fausses interprétations. Cette difficulté récurrente est rarement abordée, alors qu’elle constitue l’un des éléments essentiels de la crise de crédibilité dont souffre actuellement le journalisme. Alex Payne, un des responsable du développement chez twitter, aborde cette question essentielle sur son blog.
Mon attention a été attirée récemment par un passionnant post, Toward better Technology Journalism [Vers un meilleur journalisme consacré aux technologies] écrit par Alex Payne, API Lead chez twitter. Dit autrement, il est l’un des responsables du développement technologique de cette société à la croissance exponentielle. Bref une pointure. Voici ce qu’il écrit :
« Le journalisme sur la « technologie » produit rarement des articles corrects, intéressants et lisibles. C’est un triste et dommageable état des choses ».
Et de citer deux exemples récents:
– le premier concerne lastfm.com [version française ici], un webradio musicale connue dans le monde anglo-saxon —elle est la propriété de CBS depuis 2007— et dont le fonctionnement n’est pas sans rappeler celui de Deezer. Or, TechCrunch, un site spécialisé dans les nouvelles technologies (désormais adossé au Washington Post), publiait le 20 février 2009, un post dans lequel été relayée la rumeur d’un supposé accord entre lasfm et la RIAA. Une source anonyme disait notamment: « J’ai appris (…) que last.fm a récemment fourni à la RIAA de nombreuses données personnelles d’utilisateurs pour traquer les internautes écoutant des morceaux qui ne sont pas encore sortis officiellement ».
Pour comprendre, il faut se souvenir que le RIAA, qui regroupe les producteurs musicaux américains, s’est lancé dans une agressive campagne contre le téléchargement illégal qui a conduit de nombreux Américains devant les tribunaux. C’est le cas de Joel Tennebaum, qui se voit réclamer plus d’un million de dollars en dommages et intérêts pour avoir téléchargé 7 chansons!
Bref, lastfm se voyait accuser de pactiser avec le diable. TechCrunch s’attirait les réponses courroucées des responsables de last.fm [lire par exemple : Techcrunch are full of shit]. En fait, explique Alex Payne, TechCrunch est considérée comme « l’une des voix les plus entendues dans le domaine de reportage sur les technologies », alors que ce site peut difficilement être compté comme « journalistique » ou « de presse » par « aucun mode de définition raisonnable ». Pour lui, « c’est un tabloïd maquillé en journal ».
– le deuxième porte sur un article de John Markoff, un journaliste expérimenté qui couvre pour le New York Times la Silicon Valley. Dans Do We Need a New Internet? [Avons-nous besoin d’un nouvel Internet?], il centrait son propos sur les failles de sécurité de l’actuel réseau et sur une recherche entamée à l’Université de Stanford, baptisé Clean Slate, et qui devrait déboucher sur un Internet plus fiable.
Problème, explique Alex Payne: « Les derniers paragraphes ne sont rien d’autre qu’une spéculation de la part de l’auteur, sans même que celle-ci porte particulièrement sur les objectifs visés par le projet Clean Slate. À part des considérations générales sur les questions de sécurité, il n’y a rien de pertinent ».
« Un journaliste ne peut pas se contenter de ficeler ensemble des citations »
Il faut dire qu’Alex Payne place la barre de la spécialisation [en matière de technologie] très haut. Outre le fait que la plupart des journalistes qui traitent de ces questions ne soient pas ingénieurs, il regrette aussi qu’ils « n’aient jamais construit quelque chose de semblable à ce dont ils parlent ». Quant à ceux qui sont ingénieurs, « ils n’ont pas écrit une ligne de code ou soudé un circuit depuis des années ».
Or, estime-t-il, un journaliste ne peut pas se contenter de s’adresser à des sources, il « ne peut tout simplement pas ficeler ensemble des citations de PhD ou de CTO [Chief technical Officer] et espérer ensuite se retrouver avec quelque chose de cohérent, précis et informatif pour un lecteur non-technicien. »
Les 3 solutions d’Alex Payne pour un journalisme sur les technologies de qualité
Mais Alex Payne prend aussi sa part du problème lorsqu’il ajoute que cette question « est aussi de notre responsabilité » tant comme communauté de chercheurs et d’ingénieurs qu’en tant qu’industrie.
Pour résoudre le problème il propose 3 solutions :
– améliorer l’enseignement du journalisme sur les technologies dans les universités et les écoles.
– les techniciens et les ingénieurs pourraient eux-mêmes faire du journalisme, profitant des 20% de temps que leur alloue les entreprises de high tech, pour développer des projets alternatifs ou open source.
– faire du journalisme « technologie » une forme de journalisme attractif, notamment sur le plan de la carrière.