« Moldavie : la première ‘révolution’ Twitter« . Vincent Jauvert, grand reporter au Nouvel Observateur, n’y va pas par le dos de la cuillère sur son blog. Il écrit: « D’ores et déjà, une chose est sûre: les jeunes Moldaves ont fait entrer Twitter dans l’histoire, déjà très riche, des mouvements contestataires post-communistes en Europe ». Bigre, bougre et voilà que Slate.fr, y va aussi de sa petite musique avec la « La Révolution Twitter des Moldaves« . Pour écrire cela, il faut avoir la foi « twitter » chevillée au corps, car le nombre de twitternautes que compte la Moldavie, un des pays les plus pauvres d’Europe, ne dépasse guère la centaine.
D’où vient ce buzz autour de Twitter et de la Moldavie, et en quoi cela affecte-t-il la qualité de l’information? Je détaille ici deux sources, parmi beaucoup d’autres [pour repère, les élections législatives se sont déroulées le 5 avril, et les manifestations ont commencé dès le 6, mais la plus importante a eu lieu le mardi 7 avril 2009]:
– le New York Times, où plus exactement sa journaliste Ellen Barry. Elle a publié une série d’articles sur la Moldavie, le premier, le 7 avril 2009, étant titré: Protests in Moldova Explode, With Help of Twitter. Elle y explique que: « la mer [10.000 manifestants] de jeunes manifestants reflète le profond fossé entre les générations qui s’est créé en Moldavie, et les manifestants utilisent les outils de leur génération pour rassembler la population en envoyant des messages via Facebook et Twitter ».
Dans l’article suivant, After a ‘Spontaneous’ Riot, Moldovans Look for Answers de nouveau un petit couplet sur Twitter, où l’on apprend que « la demi douzaine de jeunes activistes qui ont utilisé Twitter, Facebook et les SMS pour organiser une ‘flash mob’ lundi, se sont complètement retirés du mouvement de protestation », par crainte des représailles.
Le 9 avril 2009, nouvel article, et l’on y lit que « le fil Twitter qui a mobilisé les militants en début de semaine, est maintenant rempli d’avertissements de risques d’une effusion de sang ».
Résumons : une demi-douzaine de militants ont utilisé des moyens de communication comme Twitter pour appeler à manifester. Il faut être diablement optimiste pour lire ici une « révolution Twitter ».
Cela n’empêchera pas le NYT de revenir dans un blog installé sur son site, The Lede, sur cette tweetmania, à partir du témoignage d’un twitternaute moldave, Mihai Moscovici [son blog ici]. Il est vrai que celui-ci, tweet en… anglais.
– Global Voices, un site d’information alimenté par un réseau de blogueurs, dont la rédactrice en chef [editor] pour l’Europe centrale et de l’Est, Veronica Khokhlova, a écrit un long post le 8 avril sur la « Grape revolution/ Twitter révolution ». Elle s’appuie comme source sur des blogs dont l’un, Scraps of Moscow, est tenu par un Américain, qui fut expatrié à Moscou, mais qui maintenant vit à Londres, dont l’autre, Nosemonkey’s Eutopia, est écrit principalement (depuis Londres) « selon une perspective Anglo-Européenne », dont un autre encore, Julien Frisch, [c’est son nom et celui de son blog] dont l’auteur se décrit comme « Européen cosmopolite, avec des ancêtres allemands », et enfin net.effect, le blog d’Evgeny Morozov, lequel travaille pour l’Open Society Institut (OSI), qui n’est autre que la fondation du financier George Soros. Le seul Moldave qu’elle cite est Milhail… Moscovici.
Pour voir les tweets sur la Moldavie, il faut aller sur #pam
Cela dit, il faut aussi examiner les tweets et les twitternautes et pour cela aller sur #pman, le fil Twitter créé pour l’occasion [pam pour Piata Marii Adunari Nationale, la place principale de Chisinau, la capitale moldave], que l’on retrouve facilement grâce à un outil comme twitter search.
En faisant ce petit travail de recensement [qui hélas est incomplet, je n’y ai consacré que trop peu de temps le samedi 11 avril], j’avais en tête deux chiffres: l’un fourni par Amandine Schmitt de Slate.fr, qui annonce 98 membres inscrits sur Twitter, « localisés en Moldavie », grâce à une recherche qu’elle a effectué sur Google, et l’autre fourni par Mihai Moscovici dans The Lede [blog du NYT déjà cité]. Il annonce qu’il a environ 200 nouveaux followers depuis le mardi 7 avril, dont il estime que la plupart d’entre eux serait installée en Moldavie.
J’avais aussi en tête les recommandations proposées par Connie Rece sur son blog Everydotconnect, à la suite des attentats de Mumbai [Twitter avait alors fait couler beaucoup d’encre, lire Les médias traditionnels bousculés], pour identifier et stopper les trolls susceptibles de manipuler l’information. Deux principes : les profils doivent être antérieurs à l’événement et les followers, comme les followings nombreux.
Si l’on applique les critères de Connie Rece tout est à jeter
Les résultats de mon sondage « sauvage » sont les suivants: je n’ai relevé qu’un seul profil créé avant le 7 avril , celui de marina scorpan, créé le 15 mars [pour arriver à ce résultat, la méthode est simple, mais fastidieuse : il faut remonter les tweets jusqu’au premier]. Tous les autres ont été créés entre le 7 et le 10 avril, principalement les 7,8 et 9. Quelques uns ont posté leurs tweets via Tweet grid un outil de veille de Twitter. Dans ces conditions, le nombre de followers est bas, compris entre 10 et 40 pour le plus élevé, et celui des followings l’est encore plus. Etc. Bref, au mieux Twitter est réellement né en Moldavie pendant ces quelques jours « révolutionnaires », car il n’existait qu’à l’état embryonnaire auparavant… En tout cas, si l’on applique les critères de Connie Rece, tout cela est à jeter, et ne saurait en rien servir d’information.
Fait symptomatique, le site de la BBC qui a désormais une politique clairement affirmée à propos de Twitter, comme l’explique Darren Waters, n’a pas repris les tweets moldaves, comme elle le fait couramment désormais sur d’autres sujets…
Twitter peut-il être un instrument de mobilisation ?
À défaut d’être un moyen fiable d’information dans ce cas, Twitter a-t-il été utile comme instrument de mobilisation? Certes on peut toujours rêver et paraphraser la réplique du Cid,
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port
En fait, sur le blog de la BBC, consacré aux nouvelles technologies, Rory Cellan-Jones, prend pratiquement l’exact contre-pied. Il est vrai que son analyse porte sur d’autres manifestations, celles qui se sont déroulées à l’occasion de la tenue du G20 à Londres. « Peut-être, écrit-il, Twitter est-il un bon moyen d’échanger des informations, mais je doute que ce ce soit un bon moyen pour organiser des manifestations – un expert en médias sociaux m’a expliqué qu’il comptait Twitter parmi les outils pour ‘personnes âgées’, et qu’il y avait peu de chances que les jeunes anarchistes tweetent leurs exploits. »
Que conclure ? Si l’on en reste aux faits bruts, Twitter en Moldavie n’est utilisé que par une poignée de personnes, et ne l’est que depuis peu. Or, Twitter est avant tout un réseau social [des outils comme Twitter search ne font qu’extraire en temps réel les tweets qui s’échangent sur tel ou tel sujet], ce qui implique, pour qu’il soit vivant, un grand nombre de participants, qui ont sur le réseau une antériorité minima. Donc, un Twitter aussi embryonnaire ne semble pas un outil d’information pertinent à ce stade.
Est-il pour autant un outil de mobilisation? Là encore, il semble que l’on présente abusivement Twitter et les réseaux sociaux comme étant l’outil de mobilisation. Il en existe un plus simple: le téléphone. Dans un pays pauvre, c’est souvent l’outil de communication le plus répandu. Mais il est vrai, que le SMS n’est pas tendance…