Que sera le journalisme demain ? Seule certitude, il sera différent de ce que nous connaissons. Pour donner une note optimiste à ce début d’année 2010, j’ai décidé de montrer le travail [une partie du travail!] de 4 anciens stagiaires de l’Emi-Cfd, qui chacun à leur manière explore ce que sera le journalisme demain. Il y a une part d’arbitraire dans ce choix, et ceux que j’ai oublié me pardonneront, mais il repose sur le fait que ces 4 jeunes journalistes savent combiner le professionnalisme, la réflexion, l’action et l’engagement.
Ils n’ont pas choisi la voie la plus facile, en particulier sur le plan financier. Ils ne travaillent pas systématiquement pour de grands titres, mais il faut se souvenir que l’innovation se fait souvent dans les marges, loin des pesanteurs et des lourdeurs des instituions établies.
1- Montpellier Journal, ou le journalisme local sans concession, par Jacques-Olivier Teyssier
Après sa formation par l’Emi-Cfd, Jacques-Olivier a décidé de s’installer à Montpellier. D’abord journaliste « classique » dans un quotidien local, L’Hérault du jour, il se sent vite mal à l’aise. Il remarque que son journal, comme nombre de quotidiens similaires, est trop dépendant de la publicité qu’apportent les collectivités locales pour que l’information locale puisse être traitée de manière indépendante. Une interview de Georges Frêche qu’on lui demande de modifier sera la goutte d’eau qui fait déborder le vase
Il décide donc de sauter le pas, et dans un premier temps va créer, avec quelques confrères, un hebdomadaire d’information L’Accroche. Très vite les difficultés financières s’accumulent et le conduise à cesser la parution. Fin, de l’histoire ? Non, car pour rebondir, il crée un blog d’information, Montpellier Journal. Le moins que l’on puisse dire est qu’il est fraîchement accueilli par les institutions locales et, plus inattendu, par une partie de la profession, qui lui contestera le statut de journaliste [Rue89 a fait un compte-rendu de ces débats, ici]. Les choses depuis se sont arrangées.
Depuis son lancement, l’équipe de Montpellier Journal s’est étoffée, plusieurs journalistes collaborent au blog, comme Pierre Daum, ancien correspondant de Libération, Olivier Esteban ou Patrice Victor, des dessinateurs, des photographes… Le contenu est centré sur la vie locale, avec une grande attention portée aux questions environnementales, avec une reprise des chroniques que tient Hervé Kempf, journaliste scientifique au Monde, publiées sur le site Reporterre.net.
Reste la question des ressources. Comment faire vivre un site-blog, sans recettes publicitaires? Ici aussi, Jacques-Olivier a innové en lançant un système de souscriptions-dons via le système PayPal. Pour l’instant, les recettes sont encore insuffisantes. Mais pour faire vivre un site d’information réellement indépendant, la seule solution envisageable est effectivement de s’appuyer sur ses lecteurs-internautes.
2- Sangatte à Paris ou le journalisme au long cours, par Sabrina Kassa
Sabrina travaille depuis maintenant une dizaine d’années comme journaliste. Elle fait partie d’un collectif de pigistes qu’elle a contribué à créer, Les Incorrigibles, et depuis toujours s’intéresse aux questions sociales et plus largement aux questions de société, aux questions des rapports Nord/Sud, etc. Elle a d’ailleurs écrit un livre consacrés aux « chibanis », [Nos ancêtres les chibanis, éd. Autrement, 2006] ces vieux travailleurs immigrés maghrébins, venus travailler en France lors des Trente Glorieuses, et qui sont restés dans l’hexagone.
Sabrina habite vers le Canal Saint Martin, non loin du jardin Villemin, dans le Xe arrondissement de Paris. Ce jardin est devenu depuis 2003, le « Sangatte » parisien. Comme elle le dit sur son blog Sangatte à Paris, d’un coup elle réalisa « qu’en bas de chez moi, en plein centre de Paris, là où Amélie Poulain aime à gambader le long des écluses, tout est là. Les migrants, les rapports Nord/Sud, les violences sociales, les résistances humaines… »
C’est cette réalité qu’elle a décidé d’explorer, et d’en tenir chronique dans un blog. Elle réinventera ainsi une forme de journalisme au long cours, qui seul permet vraiment de tisser des liens de confiance et de comprendre. Sa lecture révèle la vie terrible que mènent ces immigrés dans leur quotidien. Ajoutons qu’à la qualité d’écriture s’ajoute aussi la qualité du travail photographique d’Olivier Jobard de Sipa.
Mais l’histoire n’en n’est pas restée qu’au seul blog. Télérama.fr, au moment de la sortie du film Welcome, va décider de s’appuyer sur le travail de Sabrina pour produire un très original BD Reportage (Dessins de Pierrik Allain) en trois parties [les 3 épisodes sont ici ].
1er épisode du BD Reportage publié sur Télérama.fr
3- blog.pierremorel.net ou la photo réfléchie, par Pierre Morel
4- La Brique, ou l’information qui dérange, par Simon Grysole
Simon vient de ce Nord drôlement caricaturé par le film de Dany Boom, Les Chti’s. Il est l’un des fondateurs de La Brique, un « journal d’info et d’enquête de Lille et d’ailleurs », qui vient de publier son 19e numéro, et qui est naît en mars 2007.
Pas mal pour un journal, qui se veut « libre et indépendant » et donc refuse la publicité. En fait, l’équipe de La Brique se veut surtout « professionnelle ». Sur ce point, je me souviens m’être entretenu à plusieurs reprises avec Simon, aux débuts de La Brique, sur des enquêtes en cours, pour savoir « ce qui était publiable ou non » ou ce qui « risquait d’être diffamatoire ou non ».
Il faut dire, que les enquêtes n’épargnent pas grand monde: la mairie de Lille qui met en place une « machine de guerre » pour rendre la ville plus acceptable aux investisseurs, promoteurs et autres profiteurs…. » (n° 9), la famille Mulliez (Auchan), dont le système est décortiqué (n° 13)… La Brique remonte le fil de l’histoire d’Akim Djelassi, mort à 31 ans d’un arrêt cardiaque, après avoir passé 15 minutes dans un fourgon de police… et bien sûr, (c’est dans le dernier numéro) « toutes les nouvelles de la guerre sociale ». Bref, un journal intéressant et nécessaire, mais dérangeant.
Sans doute, certains trouveront-ils La Brique, « trop de gauche », voire « trop d’extrême gauche »… À ceux-ci, on peut répondre que les muckrackers, ces journalistes « fouille merde » qui travaillèrent aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, (Upton Sinclair, Lincoln Stephens, Ida Tarbell…) étaient aussi considérés trop engagés politiquement. Il n’en reste pas moins que leurs solides enquêtes ont permis de révéler d’innombrables scandales… Les journaux de contre-information sont dans cette filiation.