« La fragmentation de l’information a-t-elle du bon? » Difficile d’imaginer débat plus actuel que celui qui s’est tenu le 26 janvier 2010, à l’occasion du 2e anniversaire de La Cantine à Paris. En voici le compte-rendu, à chaud.
Pour décrire l’information aujourd’hui Stephan Lechère, de Netvibes, utilise une image celle du chou romanesco: « Nous sommes dans l’ère de la communication fractale, qui est tout azimut et instantanée. »
Une situation qui est l’aboutissement d’une évolution qui a connu trois phases:
- le browsing dans les années 1990 [il fallait connaître les adresses URL des sites. Les annuaires type Yahoo! sont typiques de cette période]
- le searching, où il n’est plus besoin de connaître le l’URL, grâce au moteur de recherche type Google
- le monitoring, où grâce à des agrégateurs de flux, chacun peut trouver l’information utile à travers les référents qu’il s’est choisi (sites d’info, blogs, etc.)
Aujourd’hui, l’important est de trouver l’information au moment voulu
Aujourd’hui donc, selon Stephan Lechère, l’important ne serait plus l’espace (je cherche une information sur le web) mais le temps: il faut trouver l’information à un moment donné. Ce changement de paradigme entraîne une série de conséquences, dont l’une est d’obliger chacun à monitorer ses activités. C’est le cas, explique-t-il, pour les patrons américains. 67% d’entre eux estiment que la réputation de leur entreprise est vulnérable. Pour parer le risque, la meilleure solution est donc de surveiller en permanence le web.
Pour l’instant, ajoute-t-il, les médias traditionnels tirent encore leur épingle du jeu. Les internautes conservent une forte confiance dans les grands médias. « Elle est cinq fois plus importante pour un site de média que pour un blog ».
Combien de temps cela va-t-il encore durer, alors que la machine s’emballe? Rémi Douine va sonner la charge. Aujourd’hui, explique-t-il, un jeune journaliste qui est sur Facebook et sur Twitter sait si « son papier est bien » grâce à l’audience qu’il génère sur les réseaux sociaux [reprise, partage, commentaires, etc.]. Il n’a plus besoin que le secrétaire de rédaction ou le rédacteur en chef le lui dise.
Les médias traditionnels perdent le pouvoir
En fait, explique-t-il, les médias traditionnels n’ont pas les outils pour réorganiser la » place de marché », où se rencontrent producteurs et consommateurs d’information. « Ils perdent leur pouvoir » et ce d’autant plus que ces outils —par exemple bit.ly et autres outils de recommandations— leur permettent, pour la première fois, de s’exonérer des médias. L’information est donc « désintermédiée ».
Les musiciens ont été les premiers à se trouver dans une situation semblable, explique-t-il, et pour faire face à la fragmentation de leur audience, ils ont adoptés tous les outils du web social. Lady Gaga, par exemple, utilise quatre canaux —YouTube, Facebook, Twitter, MySpace et Twitter— sur lesquels elle ne poste pas les mêmes informations. Cela lui permet d’élargir la base de ses fans, car à chaque publication, elle a un nombre croissant de commentaires. Bref, elle joue sur la « recommandation », c’est-à-dire le bouche à oreille.
L’importance de la recommandation comme filtre
Fabrice Epelboin fait un pas de plus, tout en restant dans le même registre. Pour lui, la désintermédiation est en quelque sorte déjà derrière nous, c’est un fait acquis. Il préfère s’intéresser aux nouvelles formes d' »intermédiation », entre un nombre de producteurs d’information « considérables » et les consommateurs. « Des gens qui font de la veille offre de la recommandation, et celle-ci permet de générer du trafic sur des sites. » D’ailleurs, des « intermédiaires de la recommandation existent déjà », dit-il, citant le Drudge Report, qui est une forme de journalisme de liens.
Une mutation qui peut avoir de l’importance sur le trafic des sites. Laurent Mauriac, explique qu’à rue89, la plus forte progression de trafic enregistré est le fait des gens qui viennent sur le site via Facebook et Twitter. D’ailleurs, rue89 va devenir aussi un site de recommandation (car « il est difficile aujourd’hui, de produire de l’information sans faire de la recommandation »), en créant un agrégateur, sorte de plateforme de liens. Ce ne sera pas un autre Google news, puisque les informations seront ici « hiérarchisées ».
C’est reposer la question de la place des journalistes et des médias dans le « chaos informationnel » actuel, comme producteur et comme « intermédiateur » [néologisme de circonstance].
Fabrice Epelboin remarque l’importance des « experts », spécialistes de leur domaine, souvent plus pointus que les journalistes, qui jouent un rôle de plus en plus important via les blogs notamment. Parfois, dit-il « ils impactent directement l’agenda [allusion à la notion d’Agenda Setting] », débordant ainsi les journalistes.
• Recommandation: lire sur un sujet voisin, le très intéressant article de Caroline McCarthy, Social media is finally about the media, sur le site Cnet.News
• Conférence organisée par le Social Media Club France, à La Cantine, avec la participation de Rémi Douine fondateur et directeur de The Metrics Factory, Fabrice Epelboin, éditeur de ReadWriteWeb France et Stephan Lechère vice-Président Business Development Europe de Netvibes. Laurent Mauriac de rue89 animait le débat.