Qu’il est rageant de ne pas lire le néerlandais! Rageant, car l’expérimentation de fact checking à laquelle participent les étudiants de 4e année de l’école de journalisme de la Fonty University, installée à Tilburg aux Pays-Bas semble vraiment passionnante.
Chaque matin, pendant 3 semaines, raconte Craig Silverman dans sa chronique de la Columbia Journalism Review [Meet the Tilburg Chekers], les étudiants relèvent dans les journaux (et les sites) tout ce qui leur semble erroné. Derrière, ils vont effectuer un travail de vérification, mais le résultat ne sera publié, sur le blog dédié, FHJ Factcheck, qu’après avoir joint le (ou les) journalistes responsables du sujet.
C’est le cas par exemple, pour l’histoire que j’ai relevée [pour pallier ma faiblesse en langue néerlandaise, j‘ai utilisé l’outil de traduction de Google, avec toutes les limites que cela suppose]. Elle porte sur un article publié dans De Telegraaf, l’un des grands quotidiens hollandais, où était évoqué le décès d’un Néerlandais au cours d’un vol de la compagnie israélienne El Al. L’auteur dénonçait l’absence de réaction de l’équipage, et le fait que le pilote n’avait pas tenté d’atterrissage d’urgence.
Les témoignages des passagers retrouvés sont radicalement différents
Un peu étonné, un étudiant va retrouver des passagers des vols et les interviewer. Ceux-ci lui tiendront un discours complètement différent, insistant au contraire sur la rapidité d’intervention du personnel de bord et notant la présence d’un médecin. Quant à l’absence d’atterrissage d’urgence, l’un d’eux explique: « L’incident a eu lieu juste avant notre débarquement et de toute façon nous ne pouvions plus faire un atterrissage d’urgence. »
Le témoin ajoute que l’accident s’est déroulé dans la classe business, séparée durant le vol, du reste de la cabine par un rideau. Dit autrement, les passagers de la classe économique ne se sont rendus compte du décès que lorsqu’ils ont débarqué.
Lorsque l’étudiant de FHJ Factcheck joint le journaliste concerné, celui-ci répondra qu’il a bien fait une enquête contradictoire, disant avoir interviewé des passagers ainsi qu’El Al, avant de couper court: « Qui êtes-vous? de FHJ Factcheck? Nous ne commentons pas notre manière de travailler ».
80% des articles vérifiés contenaient au moins une erreur factuelle
Sans doute, mais le bilan que l’on peut tirer du programme est inquiétant. Selon son responsable, Theo Dersjant, 80% des articles vérifiés contenaient, sous une forme ou une autre, une erreur factuelle. « Nous [les responsables du programme] sommes tombés de notre chaise en nous rendant compte qu’il y avait tant d’erreurs factuelles dans les médias ».
Face à cette réalité, les attitudes des journalistes et des médias sont profondément différentes. La majorité est loin d’avoir la réaction de l’agence néerlandaise ANP, qui va demander à un groupe d’étudiants de consacrer une semaine à passer en revue ses dépêches afin de mesurer la fréquence la nature des erreurs.
Theo Dersjant raconte:
» Au début, les journalistes disaient que ce que nous faisions était une bonne idée. Mais rapidement, les gratuits et une agence ont commencé à se sentir ennuyés, car nous les appelions chaque semaine avec de plus en plus d’articles [oude dépêches] inexactes. De nombreux médias ont coopéré avec nous, mais un gratuit a décidé de ne plus nous parler, car estimaient-ils, ils n’avaient aucune obligation avec nous, seulement avec leurs lecteurs. »
L’expérience peut-elle se poursuivre et surtout se généraliser? Theo Dersjant pense que c’est possible, et surtout qu’un système de fact checking est plus facile à mettre en place —et moins coûteux!— que l’on ne pense. En effet, explique-t-il, au bout de 2 semaines d’expérimentation, les étudiants « ils s’ennuyaient tellement c’était facile. » Il est vrai qu’il ne s’agissait pas d’articles publiés dans les magazines…
Pour aller plus loin :
• le blog de Craig Silverman, Regret The Error, où il traque toutes les erreurs parues dans les médias.
• lire le passionnant article de John Mc Phee, Checkpoints [payant], paru dans le New Yorker du 9 février 2009, où l’auteur détaille l’extraordinaire et minutieux travail des fact-checkers, lequel est pour une grande part dans la qualité éditoriale de ce journal