Ce printemps 2009 provoquerait-il une fièvre éditoriale sur le journalisme ? En tout cas, ce journalisme que l’on dit malade si ce n’est moribond est le sujet de plusieurs livres qui en décrivent et questionnent les pratiques, l’éthique, la déontologie, la définition voire le devenir. Première lecture donc, avec Combat pour une presse libre, Le Manifeste de Mediapart, par Edwy Plenel.
Tout simplement que journalisme et démocratie ont partie étroitement liée et qui si le premier est affaibli ou menacé, c’est la démocratie elle-même qui est affaiblie et menacée. Ce manifeste est donc un appel à une « renaissance ».
Le constat posé par le fondateur et actuel directeur du site d’information Mediapart est sombre: « Tout semble fait, aujourd’hui dans ce pays et en cette époque, pour démoraliser le journalisme, ses valeurs, ses idéaux, sa jeunesse en somme (…) Les anciens modèles économiques volent en éclats, les vieilles cultures professionnelles sont déstabilisées et le journalisme peine à trouver ses marques dans ce tourbillon. »
La culture du secret, cette spécialité française
Côté démocratie, cela ne va guère mieux, confisquée qu’elle est par ces « nouveaux oligarques, experts et décideurs qui s’estiment seuls propriétaires légitimes de notre vie publique au nom de leurs savoirs et de leurs actions. » Pour cela, Edwy Plenel décrit cette particularité française qu’est la culture du secret, et dénonce avec force que « pour l’État et ceux qui l’occupent ou l’incarnent, le secret est encore la norme et la transparence l’exception ».
Dommage, que l’auteur n’étende pas cette critique du verrouillage de l’information au secteur privé [alors même que Mediapart est actuellement victime de harcélement judiciaire de la part d’entreprises] et surprenant qu’il convoque pour appuyer son point de vue Maximilien de Robespierre. Certes, l’incorruptible révolutionnaire tint de bien belles paroles sur l’opinion publique et la liberté pour chacun de manifester son opinion individuelle, mais ses actes furent en tragique contradiction avec son discours.
Un journalisme qui ne raconte pas d’histoire mais des faits
Ce journalisme indispensable quel est-il? Il est d’information et de faits essentiellement. Sa « matière première est précisément la réalité – la déchiffrer, la connaître, la découvrir, la questionner, la transmettre, l’expliquer », et en cela il s’oppose radicalement à la manière dont le pouvoir actuel [« l’hyperprésidence », dit E. Plenel] envisage sa communication: « Il faut ‘raconter une histoire’ aux Français. Peu importe qu’elle soit vraie, voire crédible, l’important c’est qu’elle fonctionne le temps d’un séquence, à la manière d’un bon scénario. »
Pour mener cette « guerre », Edwy Plenel propose donc un programme en trois points:
• défendre l’indépendance, et pour cela il reprend l’idée défendue par Camus [et la Résistance] d’une indépendance des rédactions vis-à-vis du capital.
• promouvoir la qualité, grâce aux potentialités immenses offertes par Internet: « Le numérique non seulement permet mais facilite [les] opérations consubstantielles au journalisme de qualité: tri des informations, profondeur de documentation, temporalité des nouvelles ». Le web permettrait aussi de donner vie à a ces utopies que furent « Le cahier de renseignements » de Charles Péguy [ici, un aperçu], ou le méconnu projet Thought News porté par Robert Park, l’un des fondateurs de l’école de sociologie de Chicago [lire ici, une biographie touffue mais complète de R. Park, qui décrit précisément ce projet].
• restaurer la confiance. Ici, aussi le numérique semble aux yeux d’Edwy Plenel l’outil indispensable, car il permet un nouvel écosystème de l’information, combinant le travail spécifique des journalistes et le débat démocratique du public, suscitant leur interaction et leur confrontation ».
Comment provoquer la « renaissance » du journalisme?
Cela peut-il suffire à provoquer cette « renaissance » du journalisme qu’appelle de ses vœux Edwy Plenel? Peut être, mais chaque point de son programme semble trop directement nourri de l’aventure Mediapart. Par exemple, si l’équipe du site s’est donnée les moyens de son indépendance, cette expérience pour intéressante qu’elle soit semble difficilement généralisable [en tout cas multipliable] à l’ensemble de la presse. Et ici, les propositions précises manquent.
Par exemple encore, les moyens qu’il propose pour construire un public autour d’un site sont intéressantes [« provoquer une adhésion, une fidélité… »] mais pourquoi opposer cela à la gratuité? Si Edwy Plenel estime qu’il faut « payer pour être fidèle », il tourne le dos à l’un des ressorts les plus puissants —et les plus anciens—d’Internet: l’échange et le partage pour et par tous, que seule permet la gratuité.
Autant de points de discussion qui ne remettent pas en cause ce qui constitue l’essentiel du propos: la nécessité de rebâtir une presse indépendante, forte et de qualité, à condition de partager le constat initial d’Edwy Plenel, d’une presse d’information gravement malade.
• Combat pour une presse libre, Le Manifeste de Mediapart, Edwy Plenel, Ed. Galaade, Paris, 2009, 54 pages, 8 euros.