Les smartphones, et en particulier l’iPhone, sont devenus les irremplaçables couteaux suisses du journaliste. Tout à la fois traitement de texte, enregistreur numérique, appareil photo, caméra vidéo, studio numérique et banc de montage, ils peuvent aussi au gré des besoins avantageusement remplacer les lourds camions de direct de la télévision, ou les motos émettrices des radios. La généralisation de leur usage ouvre de nouvelles possibilités pour les journalistes et devrait conduire à une réorganisation des rédactions.
[Précision : ce blog n’accepte de publicité sous aucune forme. Tous les appareils, équipements ou applications cités dans ce post, qui ne prétend à aucune exhaustivité, ont été étudiés, achetés et testés dans le cadre de l’enseignement de « journalisme multimédia de mobilité » sur lequel nous travaillons depuis plusieurs mois à l’École des métiers de l’information, où j’enseigne]
Rares sont aujourd’hui les journalistes qui n’ont pas au fond de leur poche un smartphone ou dans leur sacoche une tablette, si ce n’est les deux. Ces outils multifonctions leur permettent de prendre des photos, ou des vidéos de récupérer leurs mails, de lire leurs flux RSS, de gérer leurs différentes réseaux sociaux, etc. D’ailleurs, de nombreuses rédactions, comme Le Télégramme ou Ouest France, ont commencé à équiper leurs journalistes de smartphone, à charge pour eux d’alimenter le site en courtes vidéos d’actualité. Il est probable que ce ne soit que les prémisses de la nouvelle révolution qui va modifier —encore une fois— profondément le travail du journaliste et l’organisation des rédactions.
En effet, il est possible grâce à ces appareils non seulement de « capter » avec une qualité professionnelle tous les éléments (son, image, texte, etc) d’un contenu multimédia, mais aussi de l’éditer et de le publier, tout cela se faisant de manière beaucoup plus intuitive que sur un ordinateur, puisque sur un écran de smartphone ou de tablette tout se pilote au doigt.
La supériorité actuelle de l’iPhone tient à la cohérence de son écosystème
Pour l’instant, dans la guerre qui oppose les constructeurs de matériels et les éditeurs de système d’exploitation, Apple grâce à son écosystème particulier, a un pas d’avance. Le journaliste britannique Paul Bradshaw a récemment lancé une enquête auprès des gens qui le suivent sur Twitter, sur sa page Facebook et sur son blog Online Journalism Blog [les commentaires sur son blog sont ici, et il a créé un Storify avec les réponses sur Twitter]. Leurs remarques sont particulièrement intéressantes: ils montrent que nombre des appareils s’avèrent excellents en particulier en terme de captation photo et vidéo. Et les utilisateurs des Galaxy S2, HTC Desire ou Sensation, ou encore du Sony Ericsson Xperia —pour citer les appareils nommés par les correspondants de Paul Bradshaw— se montrent très satisfaits de leur équipement.
Mais à lire tous ces messages, on mesure, en creux, ce qui fait la supériorité de l’iPhone. Il ne s’agit pas de technique à proprement parler, certains concurrents ont des optiques de meilleure qualité, ni de la durée de la batterie, ni du système d’exploitation. Habitué d’Androïd, le système de l’iPhone m’a paru —et me paraît toujours— complexe et contraint, ne serait-ce qu’en raison de la limitation du nombre d’ordinateurs avec lequel ont peut synchroniser l’appareil.
[Ajoutons, que nous attendons avec impatience que RIM ou le couple Nokia/Microsoft se réveillent, surtout Nokia qui avait été pionnier avec son N95 qui équipait dès 2007 des journalistes de l’agence Reuters – voir ici]
Cette supériorité de l’iPhone tient à des détails, comme sa prise son qui accepte les prises jack (photo ci-contre) à quatre contacts, ce qui permet de véhiculer le signal du micro ET celui des écouteurs.
Elle tient surtout à une cohérence d’ensemble —matériel comme softs— qui en font un appareil apte à séduire les professionnels les plus exigeants, et qui surtout ouvre le champ à de nombreuses expérimentations. En effet, désormais [voir ci-dessous] le journaliste dispose d’une caméra vidéo et d’un appareil photo de bonne qualité [cela devrait encore s’améliorer avec l’iPhone 5, je ferais une MÀJ, après sa présentation au public] et surtout d’un enregistreur de son d’une qualité professionnelle s’il utilise un micro.
Un équipement modulable selon les besoins
Avant d’ouvrir une revue de détails des applications testées, il faut retenir que l’iPhone —équipé— est donc un appareil complet, mais surtout que cet équipement est modulable en fonction des besoins. Cela peut-être un outil discret comme le raconte au Poynter le journaliste Richard Gutjahr, qui a couvert la révolution égyptienne :
Je n’avais pas d’équipement sophistiqué ou une équipe de tournage. J’étais simplement assis devant les manifestants, qui avaient aussi leurs gadgets. C’était un camouflage parfait.
Il peut aussi se transformer en studio d’enregistrement portable [ci-dessous] son, mais aussi —pourquoi pas— vidéo, voire comme le raconte plus loin le journaliste britannique Nick Garnett devenir un outil fiable et performant de direct radio ou vidéo.
Le champ des possibles ne s’arrête pas là, puisque l’iPhone peut aussi avec un clavier se transformer en une magnifique machine à alimenter en direct en textes [et en éléments multimédias] les sites ainsi que les blogs, grâce aux applications CoverItLive, WordPress, Posterous, Tumblr, etc. disponibles. Si l’on souhaite travailler de manière plus élaborée, il existe de nombreuses autres applications [la liste des exemples ci-dessous est loin d’être limitative], qui permettent de monter rapidement, facilement et n’importe où ses sujets multimédias et de les envoyer à sa rédaction soit par mail, ou via une application dans le Cloud, ou encore via le serveur ftp du site.
Les journalistes disposent donc aujourd’hui d’un outil polyvalent, souple, maniable et léger qui leur permet à tous de produire des contenus multimédias de manière décentralisée. Il est inimaginable que la généralisation de cet équipement ne se traduisent pas par une réorganisation des rédactions favorisant le journalisme « de terrain », la réactivité grâce aux outils de montage et à ceux de Live, et un meilleur partage —et une meilleure reconnaissance— de l’activité des journalistes et des rédactions sur les réseaux sociaux.
À cet égard, l’interview de Tiffanny Campbell, du Seattle Times par Damon Kiesow du Poynter est révélatrice des nouveaux modes de travail qui s’instituent et surtout de la manière dont le public consomme cette information et interagit avec les journalistes :
Cette idée d’un outil de collecte de l’information constamment connectée en ligne a transformé la façon dont j’aborde mon travail en tant que journaliste. De nouvelles possibilités s’ouvrent aussi vite que la technologie se développe.
Mais au-delà, je soupçonne que la façon dont le public interagit avec ses appareils est le changement le plus critique que nous constatons: Non seulement ils regardent les contenus sur leurs téléphones, les ordinateurs portables et les iPads, mais ils sont en mesure de contribuer, de commenter et de participer quasiment en temps réel. Je soupçonne que, bientôt, la norme sera un public qui accède au contenu des informations [à partir] d’un appareil mobile, les utilisateurs continuant de s’éloigner des ordinateurs de bureau.
Équiper son iPhone : Revue de détails
1. Côté matériel
- La ou les batterie(s) supplémentaire(s) : indispensable pour ne pas tomber en panne en plein milieu d’une interview ou un montage. Il en existe de toutes sortes, les plus petites offrent trois heures d’autonomie supplémentaire, à condition de ne pas faire de vidéo live. Dans ce dernier cas, il est préférable de prévoir une alimentation électrique.
- Le pied. Là encore, un accessoire indispensable, en particulier pour la vidéo. Le Gorillapod (Joby), un tripode articulé, de petite taille est spécialement conçu pour l’iPhone 4. C’est à ma connaissance, le seul disponible actuellement.
- Le clavier « en dur ». Là encore indispensable, si l’on veut écrire de manière confortable un article, un post pour son blog, alimenter le CoveritLive du journal… Le plus pratique s’avère être le clavier bluetooth d’Apple, qui est léger, solide et qui surtout est un « vrai » clavier, à la différence des nombreux mini-claviers de la taille de l’iPhone qui existent. À l’usage, ces derniers n’offrent pas d’avantage décisif en matière de vitesse de frappe par rapport au clavier virtuel de l’iPhone. [Quelque soit le choix, il faut toujours vérifier que le clavier est AZERTY !].
- Le micro. Le son et l’un des points forts de l’iPhone et le micro dont il est équipé est de bonne qualité. Mais, il souffre d’un défaut : il est omni-directionnel, c’est-à-dire qu’il capte tous les sons. Il est donc préférable de compléter d’un micro de type unidirectionnel, en particulier pour les interviews, pour les reportages et pour enregistrer ses commentaires sur images. Notre choix s’est porté sur l’iRigmic de IK multimedia, mais il en existe d’autres comme la spectaculaire solution —une plateforme à deux micros orientables— proposée par le célèbre fabricant de matériel audio, Fostex. Il existe aussi plus simplement des mini-micros omni-directionnels comme le Mini-Mic de Vericorder. Dernière solution, proposée par Vericorder, transformer l’entrée son de l’iPhone en prise XLR [la norme professionnelle pour le son], ce qui permet d’utiliser n’importe quel autre type de micro et en particulier des micros HF.
Au total, l’addition est —relativement— peu salée : il est difficile de dépasser les 200 euros (TTC), pour équiper son iPhone.
2. Côté applications
Elles sont nombreuses, très complètes et peu coûteuses [de 0,79 euros à 25 euros environ], du moins si on compare les possibilités qu’elles offrent en regard de leurs équivalents « ordinateurs »
- Photo : l’appareil photo de base est rustique et peut donc être largement amélioré; les propositions sont nombreuses. La plupart, comme Instagram consiste à ajouter un choix de filtres. Il en va autrement avec d’autres applications qui permettent la prise de vue en rafale (CamZoom, CameraPlus…), ou grâce à la fusion de plusieurs prises de vues de créer une photo panoramique (Photosynth…); d’autres permettent de « faire le point » sur un endroit particulier de la scène [équivalent de la profondeur de champ], ou de « faire la lumière » [équivalent du diaphragme], c’est-à-dire notamment de prendre des photos à contre-jour (ProCamera…). D’autres encore proposent des stabilisateurs, ou font fonction de « téléobjectif » [une fonction peu utile, en raison de la relativement faible définition de l’optique de l’iPhone4]. Ces logiciels de prise de vue doivent être complétés d’une application permettant le traitement de l’image. C’est le cas avec Photoshop Express ou le petit laboratoire de traitement d’images intégré dans ProCamera.
- Audio : Les applications proposées dans ce domaine sont innombrables et chacune présentent ses propres spécificités tant en matière d’enregistrement, que de montage ou d’exportation. Sans entrer dans le détail précis de leur mode de fonctionnement, en voici quatre:
- iRig Recorder : l’application « journalisme » [cet éditeur fait aussi des applications pour la musique] qui est associée au micro iRig. Difficile de faire plus simple en terme d’enregistrement et de montage, mais cette simplicité à sonrevers : on ne peut enregistrer que sur une piste, et le montage se résume à couper le son [les coupes sont irréversibles!]. Cela en fait un logiciel idéal pour l’interview à réaliser rapidement.
- Hindenburg : à l’enregistrement, cette application offre la possibilité de poser des « marqueurs ». Ce sont autant de repères qui faciliteront ensuite le montage, —en particulier, lors d’entretiens longs. L’outil de montage est « mono piste », mais offre d’étonnantes possibilités de modulation du son enregistré. Il permet aussi de créer des blocs, de les déplacer, etc.
- Monle : cette application a beaucoup de charme, en particulier en raison de son système de montage, qui est « non destructif » [le son coupé n’est pas perdu], et particulièrement ludique. Les blocs sons se séparent en tirant d’un coup sec de chaque côté du bloc, ils peuvent être déplacé à l’envie sur l’une ou l’autre des quatre pistes. Il est possible de régler [avec des doigts de fée quand même] l’amplitude du son dans chaque élément ou de créer des fade d’un simple coup d’ongle. Le mixage est ensuite une formalité. Monle serait plutôt à réserver au reportage, ou aux montages où l’on veut mêler plusieurs voix/sons.
- FiRe 2 Field Recorder : Lorsque l’iPhone est debout, on a accès au menu « enregistrement » et lorsqu’il est couché, on passe au mode montage. Ce dernier —mono-piste— est (en apparence) relativement simple. Il s’effectue avec l’aide de sous menus. Ce logiciel sophistiqué permet de faire des montages à plusieurs niveaux : blocs, régions, etc. Son apprentissage est relativement complexe, mais une fois maîtrisé, il permet de monter très proprement des interviews ou des reportages.
- Les applications audio que l’on peut installer sur son iPhone ne se limitent pas au seul enregistrement, d’autres permettent de diffuser en direct, et de le faire en 3G, sans même passer en Wi Fi, comme le raconte Nick Garnett, un reporter de la BBC qui expérimente Luci Live. Dans cette vidéo, le journaliste insiste sur le fait qu’il est possible de faire des directs dans des endroits auparavant inaccessibles pour ce type de médias et d’émission. Sur ce point, il faut regarder la manière dont il a utilisé son iPhone —et bien sûr fait des directs— durant les émeutes de Manchester.
- Vidéo
- Montage
- iMovie : rustique, simple, mais à l’usage limité. Idéal, pour monter rapidement un court reportage, ou un diaporama sonore.
- 1st Video : c’est le couteau suisse dans le couteau suisse. Cette application permet de tout faire : enregistrer des sons, faire des photos et des vidéos [sans les possibilités offertes par les logiciels spécialisés mentionnés plus haut] et monter sons, photos et images. Le principal intérêt tient à l’aspect montage de ce logiciel. En dépit d’une apparente complexité, il se révèle assez simple d’usage, fonctionnant par glisser-déposer, les manipulations de coupes et de déplacement des vidéos et des sons étant simples à réaliser. Son outil de montage son (deux pistes) est aussi accessible, y compris à un néophyte. Bref, il constitue une base pratiquement indispensable à qui veut monter et éditer sur iPhone.
- Tournage. La plupart des applications déjà évoquée en photo peuvent être utilisées pour réaliser des vidéos. Mais il existe une application dédiée à la vidéo (tournage), FiLMiC Pro, D’usage très simple, elle permet de faire la balance des blancs, ainsi que le point et la lumière tout comme ProCamera. Une fonction « Slate » permet d’enregistrer les séquences, comme on le fait sur les longs métrages en les numérotant et datant
- Live : Ustream, Qick, Bambuser… les applications permettant de la vidéo live sont nombreuses. Peu de contraintes : il suffit d’embedder le code du player —customisable— sur son site ou son blog et de diffuser l’image, que l’on peut d’ailleurs commenter en direct. L’image souffre parfois d’un léger décalage, mais la fluidité est satisfaisante.
- Texte
- Les applications sont nombreuses. La plus agréable à utiliser est sans conteste celle d’Apple, Pages, car le clavier virtuel disparaît lorsque l’on est branché sur le clavier « en dure ». Pour autant est-elle indispensable, lorsque l’on sait que l’on peut alimenter directement son blog via une application dédiée ? À voir, selon son usage.
Toutes ces applications n’ont d’utilité que si l’on est inscrit sur des services en ligne, comme Dropbox, Evernotes, Flickr, Picasa, SoundCloud, etc. qui permettent de stocker et de diffuser les contenus —reportages, interviews, diaporamas, vidéos, etc.— que l’on a réalisé.