Le journalisme visuel, une tendance forte dans les médias
Marc Mentré
« Un dessin vaut mieux qu’un long discours », l’aphorisme prêté à Napoléon est connu. Aujourd’hui, on serait tenté de le paraphraser ainsi: « Une infographie vaut mieux qu’un article ». Témoins, quelques exemples piochés sur des sites médias de Rue89, au Guardian en passant par le Washington Post.
L’infographie est souvent présentée comme l’un des points forts du web. Pour les médias c’est le cas sans aucun doute, et les sites de presse se font un malin plaisir de multiplier les timelines et autres graphiques faisant appel à des logiciels comme Flash, qui permettent des animations soignées. L’intérêt est multiple. Cela permet :
• de présenter une information facilement assimilable; une infographie est un moyen efficace de présenter l’information en fines couches successives et de la rendre ainsi plus digeste;
• de donner un aspect ludique à l’information; un point important au temps des générations game boy et Wii.
• de gérer le temps, car il est possible de réactualiser en permanence les données affichées;
• de créer une interactivité avec l’internaute, la tendance étant de pousser cette interactivité le plus loin possible;
• de générer des UGC (User Generated Content), avec l’avantage que l’internaute voit (au sens propre du terme) ses informations s’afficher sur le site; c’est la tendance forte du moment.
La carte « Crise sociale en France » d’Eco89
Eco89, le site économique de Rue89, se propose de tenir à jour la carte de la crise sociale. Il s’agit en quelque sorte de la « visualiser », comme l’indique le site. Cette visualisation est dynamique, c’est-à-dire que chaque nouvelle annonce de fermeture d’usine, de licenciement et de grève dès lors qu’elle sera connue ou signalée sera intégrée. Pour ce travail de veille considérable, le site fait appel à sa communauté en demandant à ses membres d’écrire directement à la rédaction ou de poster des commentaires dont le contenu sera ensuite intégré.
Sur le plan technique, le site utilise un très classique mashup, basée sur Google Earth. Il offre l’avantage de pouvoir être intégré sur un autre site ou un autre blog, comme ici.
La carte interactive du Guardian sur la crise des médias britanniques
L’initiative du Guardianpeut sembler assez similaire à celui d’Eco89, mais il faut noter deux différences importantes:
• la rédaction fournit les informations qui alimentent la timeline; il n’est pas fait appel à la communauté;
• le Guardian utilise, pour générer cette infographie, un site accessible à tous et gratuit, dipity. Celui-ci permet en 30 secondes chrono [je l’ai testé] à tout un chacun de créer une timeline semblable à celle ci-dessus.
Cette infographie traduit une tendance actuelle du web: la multiplication d’outils partagés et accessibles. Mais nouveauté, des poids lourds comme le Guardian (près de 26 millions de visiteurs uniques en octobre 2008) les utilisent, ce qui leur permet de pratiquer plus facilement (et à moindre coût!) le journalisme visuel.
Ushahidi : le crowdsourcing pour informer sur les crises africaines
Ushahidi est une tentative ambitieuse pour construire une information en temps réel —et fiable— sur les conflits africains, au moment de leur déroulement. Pour cela, le site utilise la technique du crowdsourcing : toute personne ayant assisté à un événement (en l’occurrence: pillage, meurtre, viol, déplacement de troupe, etc.) le signale par SMS, mails, etc. ce qui permet d’alimenter et de réactualiser la carte de la zone concernée.
Ushahidi, qui signifie « témoignage » en swahili, a été utilisé une première fois au Kenya lors des émeutes dramatiques qui ont suivi les élections de 2008. Actuellement, il est focalisé sur l’est de la République démocratique du Congo.
• pour en savoir plus, écouter sur l’atelier des médias de RFI, l’interview de Ory Okolloh, qui est à l’origine de Ushahidi.com (en anglais).
Le laboratoire participatif de « visualisation » du New York Times
(exemple : la carte des appartenances religieuses des Républicains)
Le New York Times a développé un nouvel outil —avec IBM—, le Visualization Lab. Il permet aux internautes de créer différents types de cartes (comme celle ci-dessus), à partir des données fournies par le site.
Les familiers des tableurs comme Excel, ne sont pas déroutés par cette application, dont la simplicité d’emploi est déroutante et l’aspect ludique évident, même si l’outil doit encore être largement perfectionné.
La carte élaborée par le Washington Post à l’occasion des élections présidentielles de 2008 est une formidable réussite formelle (quelques bugs subsistent, la carte refusant parfois de s’afficher). Elle réussit la gageure de combiner une information rigoureuse tout en faisant partager l’étonnant élan qui a traversé les États-Unis le temps de cette élection.
C’est à la fois un voyage dans le temps, puisque l’on peut faire défiler les jours, dans l’espace car l’on suit les candidats dans leurs périples à travers les États-Unis, dans l’information, car la carte reprend les principaux événements qui se sont déroulés dans le pays.
C’est aussi une plongée dans l’épaisseur et la profondeur de l’information : on peut consulter (grâce à la barre qui apparaît en bas de l’infographie, lors du survol de la souris) les blogs, les tweets, qui ont un jour ou un autre évoqué cette élection, ainsi que les vidéos et les photos prises durant la campagne.
Bref, nous ne sommes pas loin de l’utopie de l’information totale.