Parfois le hasard fait bien les choses. Ce fut le cas le lundi 6 avril 2009 au soir, au Théâtre de la Commune à Aubervilliers (93), où Gérard Berry, professeur au Collège de France venait parler de « la révolution numérique ». Un sujet en apparence rebattu, mais cette conférence offrait l’occasion de revenir sur des fondamentaux et de réfléchir à la révolution qui touche notre société et et à ses conséquences sur les médias, en particulier.
« Révolution », Gérard Berry , actuellement titulaire de la Chaire d’Innovation technologique au Collège de France, est affirmatif. Pour cet admirateur de Robida, ce dessinateur du XIXe siècle « qui ne se préoccupait pas de technologie » mais qui imaginait des usages inattendus pour les appareils de l’époque [comme le thélénoscope, ci-contre, déclinaison du téléphone], ce que nous vivons à l’heure actuelle est bien au sens propre une révolution. En effet, le numérique « modifie notre façon de voir », il induit « un changement de schéma mental », bref, « cela change le monde ». Et ajoute-t-il, cela produit une fracture générationnelle, qu’il illustre d’un exemple en apparence anodin : « Les enfants actuels ne connaîtront [au long de leur vie] que des téléphones portables. Ils ne verront jamais de téléphones avec fil ». C’est dit autrement, la fracture entre les digital natives, qui sont nés dans un certain environnement technologique, et les autres plus âgés qui doivent l’apprendre, en maîtriser les techniques ainsi que les usages et les utilités.
En 2015 devrait apparaître l’informatique ubiquitaire
Or, explique Gérard Berry, ces derniers ne sont pas au bout de leur peine : si le vrai développement d’Internet date de 1995 [c’est à cette époque que se lancent Yahoo! et Amazon, par exemple], la période 2005-2015 voit l’apparition et verra le développement de l’informatique nomade avec cet outil emblématique qu’est le téléphone portable. Après 2015, devrait apparaître ce qu’il appelle « l’informatique ubiquitaire », ou dit autrement la multiplication —déjà amorcée— des objets numériques dans le réseau. « On comptera plusieurs centaines de circuits électroniques par homme », dit-il.
Mais au fait de quoi parle-t-on avec le numérique et en quoi cela impacte-t-il l’information? Auparavant, l’information était stockée et diffusée sur des supports différents et totalement distinct : le texte dans des livres, la musique dans des disques, etc. C’est cette distinction qu’abolit le numérique. « Tous les types d’informations (textes, images, etc.) peuvent être codés sous forme de nombres ». Ces nombres étant sur une base deux (ou binaire), ils s’affichent sous forme de suites de « 1 » et « 0 ».
Il devient possible de copier une information, à l’infini, sans modification
Le fait que tout soit transformé en nombres permet grâce à des « algorithmes génériques » [une définition des différents types d’algorithmes ici] un certain nombre d’opérations. Il devient possible de « copier à l’infini sans modification », de « stocker et de diffuser », de « comprimer » [c’est le cas pour les sons, les images, les vidéos, etc.] et enfin de « crypter ». Il est aussi possible grâce à des algorithmes spécifiques, comme celui mis au point par Google pour son moteur, de rechercher par exemple du texte.
Sur le réseau Internet, les informations (donc des nombres) sont « coupés en rondelles » et circulent sous formes de « paquets » de données, les informations originales étant reconstituées à la réception. L’intérêt de ce système est d’offrir la possibilité de faire passer un plus grande nombre de données dans les « tuyaux », comme c’est le cas avec la Télévision Numérique Terrestre (TNT).
Avec Google Earth ou Géoportail, il suffit de zoomer pour changer l’échelle des cartes
Mais surtout cela transforme radicalement les informations elles-mêmes et la relation que chacun a avec cette information. La photo numérique offre des possibilités (redressement de perspectives, éclaircissement des images trop sombres…) qui n’étaient pas imaginables avec l’argentique [voir à ce sujet les travaux de Frédo Durand au MIT]. Grâce à des systèmes de cartographie comme Google Earth ou Géoportail (de l’IGN) il n’est plus besoin de s’embarrasser d’une multitude de cartes d’échelles différentes, car « maintenant, il suffit de zoomer » dans la carte. Autre différence fondamentale : « On n’a plus besoin de se situer, puisque l’on sait où l’on est ».
Ce train de la révolution numérique peut-il s’arrêter? Gérard Berry, ne le pense pas. La loi de Moore, baptisé du nom de son inventeur Gordon Moore, l’un des cofondateurs d’Intel, veut que tous les 18 mois, la puissance de calcul double pour un prix stable. « Cette réduction de taille peut continuer, dit G. Berry, mais en revanche la chaleur [dégagée] et la consommation d’énergie peuvent devevenir préoccupantes », alors ajoute-t-il « que l’on ne sait déjà plus quoi faire de tous ces transistors »…
Un système informatique est un amplificateur d’erreurs
En revanche, il est un domaine où la « loi de Moore » ne s’applique pas c’est dans l’industrie du logiciel. « Le logiciel, rappelle-t-il, dit à l’ordinateur ce qu’il doit faire en toutes cirsconstances ». En ce sens, l’ordinateur n’a pas d’autonomie, la moindre faille, la moindre erreur, le moindre oubli se traduit pas « un comportement anormal du système ». Il sera d’autant plus « anormal » qu’un système informatique est en fait un « amplificateur d’erreurs ». Ce n’est pas très gênant [encore que!] quant son ordinateur personnel « plante », ce le serait beaucoup plus si le système de l’A380 beuguait! Mais le « dépistage de bugs », c’est en fait la spécialité de Gérard Berry…
• Pour aller plus loin : La leçon inaugurale de Gérard Berry au Collège de France.
• Notes
(1) Cet texte, disponible sur Google livres, est extrait de Approches impérative et fonctionnelle de l’algorithmique, de Sébastien Veigneau, Springer, 1999.