Ce livre est la prolongation d’un travail engagé avec Vincent Giret [actuel directeur de la rédaction de France 24], qui avait fait l’objet d’un texte paru dans le numéro de janvier/février 2008 de la revue Le Débat. Il s’est enrichi en un an d’une solide compilation de chiffres et statistiques et de quelques idées d’évolution à venir puisées à l’occasion du Congrès mondial des journaux (World Editors Forum), qui s’est tenu à Göteborg (Suède) en juin 2008. On l’aura compris l’intérêt de La Fin des journaux tient essentiellement au tableau synthétique qu’il offre sur l’état calamiteux de la presse.
« Le modèle économique de la plupart des journaux est brisé »
Mais d’abord le constat : baisse de la diffusion payée, écroulement du chiffre d’affaires publicitaire, effondrement du marché des petites annonces, concurrence des gratuits, augmentation des coûts de fabrication, du prix du papier, du prix des matières premières et des frais de distribution, faible nombre des points de vente, désintérêt croissant des jeunes lecteurs et des moins jeunes pour la chose imprimée, comme l’écrit Bernard Poulet « tout s’additionne pour démontrer que le modèle économique de la plupart des journaux est brisé »
Conséquence « au-delà de la presse, c’est l’information elle-même qui est jeu », car tout simplement elle est devenue impossible à financer. Par information, il s’agit en particulier d’entendre le travail d’enquête long et coûteux, qui constitue la seule et véritable valeur ajoutée du journalisme en terme d’information. Mais cette « valeur » elle-même est remise en cause. Bernard Poulet cite David Simon, journaliste au Washington Post, qui s’interroge dans un article : « Ce que je ne comprends plus, c’est si l’information elle-même a encore une valeur. (…) est-ce que la compréhension des événements au jour le jour est encore quelque chose que l’on peut vendre ? »
Une crise de défiance et de légitimité
Pour compliquer encore l’équation économique,il note l’importance croissante de la presse gratuite qui achève de déstabiliser l’ensemble du secteur en retirant encore des pages de publicité à une presse écrite payante qui n’en demandait pas tant.
À cela s’ajoute une crise de défiance provoquée par « l’ambition [des journalistes] a exercer un magistère moral, parfois de jouer un rôle politique autonome, est mal acceptée par les lecteurs qui s’agacent de la prétention des journalistes à détenir la vérité et à leur faire la leçon ». Bref, les médias se seraient coupés du peuple de ses lecteurs, auditeurs et télespectateurs. Une fracture qui a tendance à s’ouvrir en raison d’une mutation de la société, qui conduit à déligitimer « l’expert ».
Illustration et défense du journalisme professionnel
Cela a provoqué l’émergence d’un mouvement —Bernard Poulet parle d’une « idéologie égalitaire »— que l’on peut résumer sous l’étiquette de « journalisme citoyen » et d’une information qui prendrait la forme d’une conversation entre « égaux ». On serait passé « du journalisme où une personne parlait à toutes les autres à une forme plus démocratique où tout le monde parle à tout le monde (dit en anglais: on est passé du one to many au many to many). »
Ce mouvement n’est visiblement pas la tasse de thé de l’auteur, qui ne se montre guère partisan de « l’intelligence des foules ». Pour lui « l’apport des amateurs ne peut remplacer la spécificité du travail des journalistes professionnels lorsqu’ils respectent les règles déontologiques, vérifient avant de publier et finalement, font sérieusement ce qui est d’abord un métier ». Et de brandir le risque de la « cacophonie », de la « manipulation » mais aussi d’un « enfermement des internautes dans leur famille idéologique ». Bref, sans presse, nous risquons l’apocalypse…
Des grands patrons en tenue de combat
Résumons : exit la presse écrite « papier » qui n’a plus de modèle économique, fracture entre les journalistes et le grand public, décridibilisation… Avec un tel tableau, comment parler d’avenir de l’information? Pourtant à Göteborg, Bernard Poulet l’a vu se dessiner, dans un de ces moments rares « où les grands patrons d’un secteur se sont présentés sans fard, dos au mur, mais en tenue de combat ».
Autant le dire tout de suite: s’il a été question d’information, en revanche celle de sa qualité n’a pas été vraiment abordée [euphémisme]. Voici les lignes de force relevées par Bernard Poulet :
• les rédactions (web & papier) doivent être intégrées et devenir des news factories multimedias
• l’avenir passe par la gratuité et donc par un modèle économique semblable à celui de la presse papier gratuite
• les sites doivent monétiser « des services monétisables » sans rapport avec leur métier d’origine
• autre voie à explorer : l’hyperlocal. Il s’agirait e créer des micro-sites « afin de couvrir tous les besoins des lecteurs (…) en matière d’information et surtout de services. »
• le « partage » est aussi une des clés du futur : « Il ne faut plus se contenter de produire des contenus, mais savoir être des médiateurs, des fédérateurs et des animateurs de communautés sur le web ».
• jouer la carte pure players et donc développer sur le web de nouvelles « marques », comme le fait Lagardère Active avec Doctissimo, ou Springer avec auféminin.com
Toutes ces idées, Bernard Poulet ne les fait pas siennes, mais il se garde bien de trancher et ouvre au contraire largement le champ des possibles. En final, il se contente de proposer un dialogue ficitf où s’oppose, sur un mode binaire, une version pessimiste et une version optimiste de l’évolution à venir. Une conclusion qui laisse le lecteur sur sa faim. Encore faudrait-il qu’il lui reste un soupçon d’appétit en refermant ce livre…
• La fin des journaux et l’avenir de l’information, par Bernard Poulet, Gallimard, Paris, 2009, 217 pages, 15,90 euros.