Jim Romenesko a quitté Poynter.org, le site qui l’hébergeait, après 12 années de bons et loyaux services. Cette rupture brutale —et inattendue— trahit les difficultés d’application des chartes d’éthique et de déontologie. Elle oblige aussi à réfléchir à la notion d’agrégation de contenu et à ses dérives.
- [MÀJ du 22 novembre 2011] Jim Romenesko a donné sur son nouveau blog jimromenesko.com sa version détaillée de cette histoire. C’est à lire ici
Drôle d’histoire que celle dont est le héros Jim Romenesko. Celui-ci tenait depuis 12 ans (!) un blog sur le site consacré au journalisme Poynter.org. Célèbre dans la blogosphère et parmi les journalistes spécialisés, il s’est fait une spécialité de la curation: repérant un contenu qu’il juge intéressant, il le résume en quelques lignes et renvoie par un lien sur la source originelle.
Jim Romenesko est excellent tant dans la sélection de ses informations, que dans sa rapidité d’exécution, proprement phénoménale. C’est d’ailleurs pour cela que le Poynter avait acheté son blog, en 1999. Décision audacieuse à l’époque, que de recruter cet obscur blogueur de la part de cet institut qui voulait faire de son site un lieu d’excellence du journalisme. [détails ici]
Un choix que personne ne semblait regretter jusque il y a peu. En août 2011, Julie Moos, la directrice de l’institut, regrettait la décision de ce dernier de prendre une semi-retraite en janvier 2012 et tenait à souligner que:
la conclusion abrupte de la collaboration de Jim avec Poynter ne doit pas occulter le caractère inégalé de ses contributions : il a changé Poynter, il a changé le journalisme et il a changé les rédactions.
Difficile d’être plus laudatif ! Las, quelques semaines plus tard, Jim Romenesko accusé de plagiat démissionne. Fin de l’histoire ?
Cette affaire oblige à réfléchir à la notion de plagiat
Non, car en premier lieu, on peut s’étonner qu’en douze ans, personne ne se soit rendu compte que Jim Romenesko était un serial-plagiaire, comme on semble l’accuser.
En fait tout commence ce mardi 8 novembre. Une jeune journaliste de la Columbia Journalism Review, Erika Fry (1), qui prépare un article sur les récentes évolutions du blog et notamment le fait qu’il ne soit plus tenu par le seul Romenesko, mais aussi par d’autres journalistes, envoie un mail à Julie Moos contenant huit extraits du blog. Il s’agit de préparer une interview qui doit avoir lieu le lendemain, mercredi.
Dès lors, tout s’emballe. Au vue des extraits, Julie Moos décide —grillant la politesse à Erika Fry, ce qui n’est guère éthique— de publier, le jeudi 10 novembre, un post vengeur sur le site du Poynter, où elle reproche au blogueur de ne pas « attribuer » ni « citer » ses sources et donc, en substance, de ne pas respecter la charte du site:
L’un des dangers de cette pratique est que les mots peuvent sembler appartenir à Jim alors qu’en fait, ils appartiennent à un autre. Ce style est un choix délibéré de Jim; il lui permet d’être transparent sur l’origine de l’information, tout en utilisant les termes [employés] par la source pour son travail. S’il utilisait les pour les guillemets, ce serait parfait. L’absence de guillemets, fait qu’il est incomplet et incohérent avec les pratiques de publication et les normes de Poynter.org.
À la suite de la publication de ce brûlot, Jim Romenesko n’a comme seule option que de quitter le Poynter, ce qu’il fait dans la foulée et de lancer son blog, ce qui sera fait le mois prochain.
Au-delà des dégâts considérables provoqué par cette affaire tant pour le site du Poynter [Par exemple, J. Romenesko a autant de followers sur Twitter que le site proprement dit] que pour Jim Romenesko lui même, cette histoire oblige à réfléchir sur la notion de plagiat, de citation et d’attribution.
La pratique de Jim Romenesko n’a guère varié au cours de ces douze dernières années, si ce n’est que la longueur de ses posts, ces derniers mois. Dans l’exemple ci-dessous, repéré par Erika Fry, celle-ci a mis en gras tous les termes et phrases du post d’origine.
On le voit, si l’on se réfère au post d’origine, les citations sont mal attribuées, —ce que reproche Julie Moos à J. Romenesko, mais l’essentiel n’est pas là.
Jim Romenesko est suivi non pour le contenu de ses posts, mais pour la qualité des liens qu’il propose. La question de la qualité de l’attribution des citations à l’intérieur de chacun de ses posts n’est guère importante. D’ailleurs, Erika Fry [elle a publié son article, le vendredi 11 novembre, sur le site de la CJR] remarque que la non-attribution des citations n’était guère un problème —à ses yeux, cela ne fait pas de Romenesko un plagiaire— tant que les posts étaient très courts, car le « cadre » du blog permettait de comprendre que le texte n’était pas de Jim Romenesko, mais provenait d’une source extérieure.
Mais ces derniers mois, quelques modifications ont changé la donne: Jim Romenesko avait commencé à écrire plus long, [son blog avait changé de nom pour s’appeler Romenesko+] et d’autres auteurs étaient venus le rejoindre dans ce qui est devenu un blog collectif. Des riens, mais ce faisant, chaque post n’est plus une simple présentation de lien engageant à cliquer dessus, mais un petit article, lequel doit obéir aux règles et pratiques journalistiques.
Ces modifications conduisent Erika Fry à centrer son analyse sur le point suivant :
Ma critique principale était très différente [de la seule question de l’attribution des citations]: ces posts agrégés n’offrent aucune pensée originale ni aucune synthèse précieuse en terme de sources; ce ne sont que de simples versions condensées de l’original.
En écrivant cela, elle déborde en fait largement du seul problème déontologique , pour s’emparer de la question de l’over-agrégation [littéralement « sur-agrégation »] dont se sont faits une spécialité des sites comme le Huffington Post. Cette pratique fait que les internautes trouvent suffisamment de matière sur le site « agrégateur » et n’éprouvent plus le besoin de cliquer sur le lien renvoyant au « site-source ». Pire [pour la source] la « conversation » —c’est-à-dire les commentaires— se tient sur le site agrégateur ainsi que sur les réseaux sociaux qui lui sont associés.
Pour aller plus loin
- De nombreux journalistes on écrit sur cette histoire et ses conséquences, notamment Alan D. Mutter sur son blog Reflections of a Newsosaur, Jenn Webb sur O’Reilly Radar, David Kaplan sur PaidContent.org et Robert Niles sur The Online Jounrnalism Review.
Notes
- Erick Fry, ancienne journaliste au Bangkok Post, est sensibilisé au plagiat, une question qui l’a obligé à fuir la Thaïlande comme elle le raconte dans Escape from Thailand, publié dans la Columbia Journalism Review.