La venue de Jean-Marie Le Pen au Centre de Formation des Journalistes (CFJ) a soulevé une micro-tempête médiatique. Les débats suscités à cette occasion entraînent une réflexion sur la formation au métier de journaliste et sur le journalisme lui-même.
« C’était évidemment un exercice difficile. Mais ils se sont comportés comme des journalistes ». Selon l’AFP, c’est ainsi que Christophe Deloire, Directeur du CJF a commenté la prestation de ses étudiants, qui ajoute « Ils ne sont pas tombés dans le piège, ils ont été pertinents, rétablissant les faits dès que possible tout en mettant leur affect de côté ». « Ils », se sont les étudiants du CFJ, le « piège » c’est de transformer le jeu des questions réponses propre aux conférences de presse en un débat.
La venue de Jean-Marie Le Pen a donc été critiqué, principalement par le journal L’Humanité et par le SNJ-CGT, qui avait organisé une manifestation de protestation devant les locaux de l’école, avec deux arguments principaux: en invitant Jean-Marie Le Pen, le CFJ participe à la banalisation de ses idées, et le CFJ, école créée à la Libération par des résistants du mouvement Défense de la France, Philippe Viannay et Pascal Richet, ne saurait inviter un leader d’extrême droite dans ses locaux.
Le risque de la banalisation
Il faut ici mesure garder. L’invitation s’est faite dans un cadre précis. L’école invite régulièrement des leaders politiques à venir s’exprimer devant les étudiants, et ces invitations couvrent l’ensemble de l’arc politique. Dans ce contexte pourquoi Jean-Marie Le Pen ne pourrait-il pas être invité, alors que depuis déjà plusieurs décennies, il l’est d’émissions politiques ?
Le CFJ est-elle une école si particulière, en raison des circonstances qui ont présidé à sa fondation, que cela lui interdirait d’inviter le dirigeant d’un parti d’extrême droite ? L’argument peut porter: cette institution en recevant Jean-Marie Le Pen lui donnerait un « brevet d’honorabilité », et contribuerait ainsi à en faire un homme politique « comme les autres ».
Cet argument avait déjà utilisé au début des années 1980, lorsque le leader frontiste avait été invité dans des émissions comme l’Heure de vérité, qui drainait à l’époque une forte audience. Sa participation à ces émissions aurait banalisé son discours et permis l’envolée du vote du Front National lors des élections. Sans doute y a-t-il une part de vrai, mais nous sommes en 2010. Une invitation au CFJ ne saurait avoir le même impact qu’une émission diffusée à une heure de grande écoute, et cela fait longtemps que Jean-Marie Le Pen est « banalisé ».
Quelle est le caractère pédagogique de l’exercice ?
Car en fait, la venue de Jean-Marie Le Pen a une valeur pédagogique. Comme l’a expliqué Christophe Deloire, une journaliste n’a pas à « distinguer le Bien du Mal ». Dit autrement, il se doit d’interviewer des personnalités de tous bords politiques, et ne pas hésiter à se salir les mains si besoin est car c’est ainsi que se fait l’information. Lorsqu’un journaliste de l’Express avait interviewé le Commissaire aux Questions Juives sous le régime de Vichy, Louis Darquier de Pellepoix, personne ne s’était interrogé pour savoir s’il avait « bien ou mal » fait. Il avait ramené des informations importantes qui devaient être portées à la connaissance du public.
La distinction entre « le bien et le mal » ne se fait donc pas « à la source », mais ensuite par le travail de mise en perspective, de contextualisation et de mise en forme.
Dernier aspect donc, le caractère pédagogique de l’exercice. Ces entretiens visent aussi à roder les futurs journalistes que sont les étudiants du CFJ à l’exercice toujours délicat de poser des questions, de savoir relancer son interlocuteur et de le faire dans un cadre proche de la conférence de presse. Etre confronté à Jean-Marie Le Pen est indéniablement un vrai dépucelage. Pour ceux qui en douteraient, j’ai sélectionné un extrait [lien ici] de l’Heure de Vérité du 13 février 1984, au cours de laquelle Jean-Louis Servan Schreiber interroge Jean-Marie Le Pen sur l’antisémitisme et une accusation de torture en Algérie.
Pour en revenir aux faits, j’ai réalisé avec Storify, le déroulé de la journée de Jean-Marie Le Pen au CFJ, afin que chacun se fasse son opinion.
et pour être vraiment complet, Agoravox TV a enregistré l’intégralité de cet entretien