Facebook est une application privative et instable pour ses utilisateurs. Dans ces conditions, pour les sites médias et les journalistes travailler avec cette plateforme est un véritable challenge, même si à l’usage, celle-ci se révèle très utile et intéressante en raison du nombre de personnes inscrites et des outils d’analyse, mais aussi de diffusion et de partage de l’information qu’elle propose.
Ce mardi matin 28 juin, Facebook tenait son premier MeetUp pour les journalistes à Paris. Media Trend y était présent grâce à Sophie Lemoine. Disons d’emblée, qu’en écoutant son compte-rendu et en lisant ses notes, j’ai été déçu. Rien de particulièrement nouveau n’a été annoncé lors de cette réunion qui ne soit déjà connu, comme la création de « pages professionnelles » pour les journalistes , le fait de pouvoir lier les commentaires publiés sur le site avec ceux qui le sont sur la page Facebook, l’implémentation des boutons « Like » ou « Recommend » en lieu et place du bouton « Share« , etc. Je vais revenir en détails sur ces points, mais surtout, il nous est apparu, à Sophie et à moi, qu’il s’agissait d’une classique « évangélisation » de la part d’une entreprise qui cherche à devenir un des points de passage obligé pour accéder au contenu des sites d’information.
Mais avant d’aller plus loin, deux repères:
- L’ensemble des internautes n’est pas inscrit sur Facebook, loin s’en faut. En France, seule la moitié d’entre eux a ouvert un compte Facebook. Il faut ajouter un second bémol: sur la vingtaine de millions de comptes en France, on ignore combien sont réellement actifs. Donc aujourd’hui, Facebook est sans nul doute un outil puissant de publication et de diffusion des contenus, mais une « page » ne saurait être se substituer à un site, pour cette seule raison.
- Travailler sur Facebook, que l’on soit un individu ou une entreprise, implique l’acceptation du « réglement Facebook » [lire la Facebook Platform Policy]. Celui n’est pas toujours « raccord » avec les impératifs de l’information, comme l’illustre le point 5 de ce règlement qui interdit tout « contenu haineux, menaçant, diffamatoire ou pornographique; qui incite à la violence; ou contient de la nudité ou des scènes de violence » [encadré bleu, dans la capture d’écran ci-dessous].
Plus inquiétant pour un éditeur, l’instabilité dans laquelle les plonge Facebook. Il est prévu au chapitre V de ce réglement:
Nous pouvons prendre des mesures coercitives contre vous et tout ou partie de vos applications, si nous jugeons, selon notre seul jugement que vous ou votre application viole les termes et la politique de la plateforme Facebook. Les mesures d’exécution sont à la fois automatiques et manuelles, et peuvent inclure la désactivation de votre application, en limitant votre accès ou celui de votre application aux fonctionnalités de la plateforme [Facebook], la fin de nos accords avec vous, ou toute autre action que nous jugeront appropriés et ce à notre seule discrétion [souligné par moi].
Et pour que l’incertitude soit totale, le réglement ajoute au chapitre suivant :
Nous pouvons changer la politique de la plateforme à tout moment sans préavis [souligné par moi] lorsque nous le jugerons nécessaire. Votre utilisation continue de la plateforme constitue une acceptation de ces changements.
Bref publier sur Facebook signifie se trouver dans un environnement particulier, relativement instable [lire par exemple cet article du site espagnol TechnoMagazine, qui explique que des milliers d’applications ont été désactivées par Facebook, sans préavis], et restrictif par rapport au cadre législatif et réglementaire habituel. [Lire à ce sujet, la mésaventure survenue au critique britannique Roger Ebert, qui a vu sa page disparaître, racontée sur Gigaom]
Mais au-delà de ces prudences qu’apporte Facebook et comment faut-il l’utiliser ?
L’apport de Facebook pour un média se concrétise de plusieurs manières qui vont de la création d’une —ou de plusieurs— page(s), à différentes manières de lier le contenu et les commentaires du site avec Facebook.
Un éditeur a passé le pas et a décidé « à titre expérimental » de basculer entièrement sur Facebook en mars 2011. L’une des principales raisons avancée par Cindy Cotte Griffiths et Brad Rourke, les responsables de Rockville Central, tient au fait que Facebook serait plus « civilisé » que le web de par son caractère « fermé » [par opposition au web « ouvert »]. Le réseau social offrirait donc une meilleur qualité de conversation, notamment parce que les inscrits sur le site le sont sous leur identité propre. Cela limiterait fortement les risques de dérives dans les commentaires.
En revanche, ce choix implique un sacrifice financier, puisqu’un éditeur ne peut pas placer de publicité sur sa page Facebook, comme l’indique les « conditions applicables aux pages » : « Les publicités pour des tiers sont interdites sur les Pages ». Les deux responsables de Rockville Central envisagent donc un financement par des produits dérivés comme, par exemple, la création d’événements locaux. [pour plus de détails sur cette expérimentation lire ici et là].
Le Boston Globe pour sa part a opté pour une autre solution, à savoir la création d’une application Facebook, baptisé Your Boston. Pour cela, le groupe s’est appuyé sur une solution en open source développée par un petite startup, NewsCloud, dans le cadre d’un programme financé à hauteur de 250.000 $ par la Knight Foundation et qui est destiné à soutenir le lancement de sites communautaires interactifs par douze groupes de presse.
Avec une application, il est possible de générer de la publicité sur Facebook
Si l’on voulait une démonstration du caractère expérimental de cette application, on ne saurait mieux l’illustrer par le jeu de piste qu’il faut suivre pour tomber sur Your Boston. Sur la home du site du Boston Globe, on ne trouve que le social plugin Facebook; il renvoie sur la page Facebook, Boston Globe; il faut alors cliquer sur Boston.com, dans la colonne de gauche [les « intérêts » des pages Fan] et c’est sur cette page que l’on trouve Your Boston [ci-dessous]. Il faut ensuite entrer dans l’application. Un chemin compliqué, qui désole Jeff Reifman de NewsCloud:
Une application communautaire Facebook est sans intérêt, si personne ne connaît son existence et son utilité.
L’intéressant avec un application est de pouvoir générer de la publicité, et donc ouvre la possibilité de monétiser son investissement, ce qui n’est pas possible lorsque l’on crée une page « fan » classique. Toutefois, il faut ajouter que installé de la publicité dans une application sur Facebook se fait dans conditions restrictives [lire « Les règles publicitaires sur Facebook« ] et qu’il est impératif de passer par l’une des entreprises agréées par la plateforme [lire la liste des entreprises agréées].
À l’usage, pour un développeur d’applications, Facebook s’avère relativement malaisé, en raison de son « instabilité » [Jeff Reifman dit : « the ever-changing Facebook application platform »]. Par exemple, explique-t-il, Facebook a désactivé unilatéralement le système de notifications qui avait été mis en place pour l’application. Il signalait aux internautes que quelqu’un avait commenté ou « aimé » leur statut/article ou leur commentaire. Conséquence, Newscloud a du construire son propre système d’alerte, mais celui-ci ne fonctionne que si l’internaute « se rend régulièrement sur l’application ou choisit de recevoir les notifications par email ».
Autre problème soulevé par Jeff Reifman, un certain nombre d’internautes qui ne sont pas sur Facebook, parce qu’ils ne souhaitent pas partager leurs données personnelles, hésitent à s’enregistrer sur une application… qui est sur Facebook.
Mais, les difficultés viennent aussi des éditeurs. En effet, créer une application interactive implique une approche nouvelle de leur part, comme l’analyse Jeff Reifman :
- les éditeurs de sites ont tendance à dupliquer leur site, afin que leur site (ou application) communautaire ressemble le plus possible au site d’origine. C’est une erreur, dit-il, car « un site communautaire est différent d’un site d’information —il devrait afficher et mettre en valeur le meilleur du contenu généré par les internautes. D’autre part, si le site communautaire est une ‘copie carbone’ du site d’information, les lecteurs ne comprendront pas l’intérêt du site communautaire et comment ils peuvent participer. »
[Pour plus de détails, lire le « Retour d’expérience » de Jeff Reifman sur Nieman Journalism Lab; il est passionnant]
Publier sur Facebook c’est d’abord créer de l’interactivité et du commentaire
Pourtant en dépit de ces défauts, Facebook reste une plateforme très intéressante et pratiquement tous les sites ont créé leur page sur le réseau social. Ce dernier a d’ailleurs publié un classement international [le détail de ce classement ici] dans lequel on trouve en quatrième position Le Monde [189.600 fans] avec, note Facebook, « des sections quizz intéressantes sur différents sujets actuels comme celui sur l’information Actu Quiz, qui offre aux likers l’occasion de gagner des prix », et en cinquième position L’Équipe [205.000 fans], « qui offre une page enrichie avec des quiz, des jeux et des pages thématiques additionnelles comme: Sport & Style, la radio RTL de L’Équipe, L’Équipe Mag, qui permettent d’attirer les likers. » [Facebook emploie le terme « liker », j’utilise l’ancienne appellation de « fan » pour distinguer clairement les pages « fans » ou pages entreprises, des comptes et profils personnels, et ne pas confondre avec le bouton « Like » placé sur les sites]
La création de page par les sites sur Facebook offre un grand nombre d’avantages, en particulier :
- l’élargissement de la « cible » du média concerné, les membres de Facebook étant en moyenne plus jeunes et plus féminin que les internautes « classiques »,
- une grande « viralité » [diffusion virale] aux contenus mis sur la page grâce aux outils de partage,
- une « interactivité naturelle, car il est possible facilement à tout un chacun de commenter, de « liker » les articles et commentaires, etc.
Ces pages offrent aussi une formidable opportunité aux services marketing des médias, car elles leur permettent d’étudier sur une une base autrement plus fine et « vraie » que celle du site, les utilisateurs Facebook [lire par exemple cet article de Mashable sur l’utilisation des données personnelles par les services de marketing].
Mais… la création d’une page ne saurait être la simple réplique du site, ne serait-ce que parce que une page Facebook [un défaut que n’a pas l’application Your Boston décrite plus haut] se présente comme un blog, avec toutes les caractéristiques de ce type de publication, en particulier un empilement des articles le dernier publié étant en tête. C’est un flux, sans hiérarchie. Surtout, il n’est pas possible de publier autant d’articles sur la page que sur le site sous peine d’être contreproductif, car alors on sature le mur des personnes qui « aiment » la page [je ne développe pas; on peut trouver des principes de publications pour une page par exemple ici].
Pour ces raisons, Julien Osofsky, directeur de la division médias et Julien Codorniou, directeur des partenariats, ont expliqué le 28 juin, que le but des publications sur une page Facebook n’était pas de délivrer de l’information, mais d’abord de créer de l’interactivité et de générer du commentaire.
Alors que les publics sont différents, que leurs comportements sont dissemblables, que les contenus ne se recouvrent pas strictement, lors du MeetUp du 28 juin, les responsables de Facebook, ont insisté sur la possibilité qui était offerte de « synchroniser la conversation [c’est-à-dire les commentaires] sur le site et la page ». En France Le Journal du Net a implémenté cette solution, mais problème, il semble qu’elle ne fonctionne pas très bien. Les commentaires du site restant sur le site et n’apparaissant pas sur la page, et inversement, comme le montre les deux captures d’écran ci-dessous prises pour un même article, Bientôt une enquête antitrust contre Google aux États-Unis ? [Précision: « j’aime » le Journal du Net]
Dernier point, Facebook permet de générer du trafic sur un site, et cela peut-être considérable, comme le montre l’infographie ci-dessous reprenant les principaux sites de presse français. Elle montre le pourcentage de trafic via Facebook entrant sur les sites [cette infographie a été réalisée avec les données collectées par Alexa].
Cette possibilité de générer du trafic sur Facebook fut une des principales questions abordées lors du MeetUp du 28 juin, et c’est l’objet des social plugins que propose le réseau social. Ce dernier offre toute une palette de boutons et de box. Jusque il y a peu, le bouton « Share« , était le plus implémenté sur les sites. Son développement est aujourd’hui abandonné et les responables de Facebook considèrent aujourd’hui que les sites doivent passer à une autre étape et privilégier les boutons « Like » ou « Recommend ». Ce changement de dénomination suppose, un engagement plus fort de l’internaute vis-à-vis du contenu qu’il partage avec ses amis. Le fait de cliquer sur ces boutons permet aussi de créer un lien vers le site et d’améliorer la visibilité du contenu « liké » dans les moteurs de recherche. [Lire dans cet article de Search Engine Land, plus de détails sur la manière de transformer les visiteurs d’un site en « Facebook Likes »].
- À suivre : les journalistes et Facebook
- Alice Antheaume sur son blog W.I.P. a réalisé un compte-rendu précis et complet du MeetUp du 28 juin, et Erwann Gaucher sur son blog Cross Media Consulting a interviewé Damien Van Achter, spécialiste des stratégies réseau chez Owni, sur le thème « Twitter et Facebook draguent les journalistes sur les réseaux sociaux«