À quoi servent les commentaires publiés à la suite des articles sur les sites d’information ? Leur contenu est parfois intéressant mais le plus souvent il est pauvre voire affligeant. Pire, sur la plupart des sites ni la rédaction ni le journaliste concerné répondent ou participent.
La question des commentaires est centrale ; elle pose celles des relations entre les rédactions et les net-acteurs, celle de l’apport des User Generated Content (UGC), celle d’une nouvelle organisation de l’information.
Chaque site adopte une position différente vis-à-vis des commentaires, révélatrice du rapport à l’information qu’il propose, de la place du net-acteur et du rapport que le média souhaite construire avec ce dernier.
L’internaute est écarté du cœur du système au Financial Times
Le Financial Times est sans doute l’un des plus radicaux : il n’y a pas de commentaires. Une formule qui est la transposition pure et simple sur le web de la philosophie du journalisme « papier ». Le
message est clair : dans ce média « de référence », ce sont les journalistes de la rédaction qui alimentent le site en faits et en informations et qui les analysent. Les net-acteurs n’ont pas leur place dans ce qui est considéré comme le « cœur » du système.
Cette formule n’est pas suivie par le grand concurrent américain, le Wall Street Journal, dont le site laisse au contraire une large place aux commentaires. Mais pour pouvoir s’exprimer, le net-acteur doit payer, c’est-à-dire être abonné. Une formule très proche de celle retenue par un autre site « de référence » LeMonde.fr, sur lequel les commentaires sont également réservés aux abonnés payants. C’est une forme d’engagement qui en vaut une autre. Le net-acteur doit avoir « mis au pot », et montrer — c’est le principe de l’abonnement— que sa visite est et sera régulière.
L’inscription est une forme de firewall défensif
Mais l’inscription peut aussi être gratuite. C’est le cas de sites comme celui du Guardian. Les inscrits forment alors une « communauté » dont le principal intérêt et de pourvoir poster ses commentaires. L’inscription n’est alors qu’une forme de firewall censé protéger des commentaires déplacés, idiots, agressifs.
20 Minutes se veut plus subtil. Les internautes inscrits et identifiés peuvent intervenir comme bon le semble à l’instar de ceux du Guardian, leurs propos étant directement visibles sur le site. Le contrôle ne s’exerce qu’a posteriori. En revanche, les posts des non-inscrits sont modérés a priori. (cf. ci-contre).
C’est cette dernière formule qui a été retenue à Libération: n’importe qui peut enregistrer son commentaire, le seul verrou de sécurité étant une modération avant publication.
Le journalisme de conversation, un idéal dont nous sommes très éloignés
Dans ces exemples, on est très loin du « journalisme de conversation », tel que Jeff Jarvis le définit, par exemple. Pour lui, en effet, « le processus est le produit » (the process is the product). Autrement dit, l’article n’est que le point de départ d’une conversation qui est amenée à se poursuivre, s’enrichissant au fur et à mesure, sans qu’il y ait réellement de point final.
Rue89 est sans doute, le site qui en est le plus proche par sa pratique. La charte des commentaires est limpide. On y lit notamment que : « Le but des commentaires est d’instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés dans Rue89 (…) Les auteurs de Rue89 considèrent que leur travail ne s’arrête pas avec la publication de leurs articles et participent, dans la mesure de leur disponibilité, aux discussions qui les prolongent. Ils assurent eux-même la modération des commentaires, parfois avec l’aide de modérateurs issus de la communauté. »
Mieux, les commentaires les plus intéressants sont isolés et « remontés » par la rédaction et les auteurs des articles répondent. Toutefois, cette « conversation » a une fin (elle ne dure que 7 jours) et elle se tient entre gens de bonne compagnie, puisqu’il faut être inscrit sur le site pour y participer.
Journalistes et commentateurs ne jouent pas selon les mêmes règles
Il n’en reste pas moins qu’en général les journalistes sont extrêmement réticents (pour ne pas dire opposés) à intervenir dans les commentaires publiés à la suite de leurs articles. À cela une explication simple : les journalistes n’ont pas le sentiment de suivre les mêmes règles du jeu que les net-acteurs.
Les journalistes sont soumis à des règles professionnelles précises de vérification des faits, de recoupement des sources, doivent éviter toute interprétation et respecter les personnes, ils travaillent dans le cadre d’une rédaction, sont soumis à une hiérarchie, doivent respecter une législation, etc.
Les net-acteurs ne sont pas soumis aux mêmes règles, car on ne leur demande que des « commentaires », leur seule contrainte étant de ne pas contrevenir à la législation en vigueur. C’est ouvrir la porte aux jugements à l’emporte-pièce, aux allégations fausses, etc.
Côté journaliste, la frustation est immense
Résultat, côté journaliste la frustration est immense, car que répondre à ceux qui donnent un « avis », une « opinion », qui affichent leurs certitudes, voire qu
i attaque la qualité de leur travail ? Côté internaute, le résultat est aussi décevant, car qu’est-ce que cette conversation qui se déroule « à côté », en parallèle, sans prise réelle sur l’information en train de se faire ?
i attaque la qualité de leur travail ? Côté internaute, le résultat est aussi décevant, car qu’est-ce que cette conversation qui se déroule « à côté », en parallèle, sans prise réelle sur l’information en train de se faire ?
Pire, souvent la conversation se déroulant seulement entre « commentateurs », elle suit cette pente bien connue : les premiers posts sont généralement solides et intéressants, mais 20 commentaires plus tard, on parle (dans le meilleur des cas) du divorce de Madonna et autres sujets à « ras la moquette », et qui n’ont rien à voir avec le point de départ.
Comment sortir de ce cercle vicieux ?
En clair, les commentaires sur les sites d’information sont souvent proche du degré zéro de la conversation. Comment sortir de ce cercle vicieux ?
D’abord un constat. Le décalage est moins fort « sur les blogs de journaliste [installés sur] les sites d’information, comme le remarque Myndy MacAdams dans un post sur le sujet, les journalistes bloggeurs répondent aux commentaires, et souvent de très agréables conversations s’en suivent ».
Il est d’ailleurs symptomatique que le site d’information français où les règles de la conversation sont les mieux posées et les mieux tenues soit justement Rue89, car il a été créé par trois journalistes, anciens bloggeurs, et le format du site tient beaucoup du blog.
« Les commentateurs se comportent comme des enfants dans une maison abandonnée »
Pourquoi la conversation a-t-elle lieu dans un blog et non sur un site ? Tout simplement, dit M. MacAdams parce que les commentateurs se comportent comme « des enfants [dans un immeuble abandonné] qui se sentent libres de jeter leurs ordures et de casser les vitres « . Ce n’est pas le cas sur un blog, car le commentateur pénètre dans « la maison de quelqu’un » et cet hôte va lui répondre.
Une partie de la solution se trouve sans doute là. Et il est possible d’améliorer la situation comme l’explique sur son blog Derek Powazek. Le commentateur doit sentir qu’il entre quelque part (donc l’inscription est obligatoire), qu’il y a des règles (une charte), un accueil (un journaliste chargé d’animer et de modérer les commentaires), qu’il n’est pas un intrus et même le bienvenu (les journalistes doivent répondre, participer à la conversation) et enfin, ce qu’il apporte d’intéressant à la conversation doit être valorisé (par un système de notation, de mise en exergue).
Il s’agit donc de mettre en place une politique cohérente qui implique l’ensemble d’une rédaction. Si on ne le fait pas, il ne faut pas biaiser et, à l’instar du Financial Times, abandonner le système du commentaire en bas d’articles. Le web n’aime pas les faux-semblants.