[the] media trend

Trafigura vs Guardian : twitter au secours de la liberté de la presse

« Merci à Tweeter/à tous les tweeternautes pour leur soutien fantastique pendant ces 16 dernières heures! Grande victoire pour la liberté d’expression« . Ce n’est pas tous les jours que l’on peut lire un tel tweet [la traduction fait dépasser les 140 signes réglementaires], qui plus est rédigé par Alan Rusbridger, le directeur d’un des plus grands quotidiens britanniques: The Guardian.

Au cœur de cette histoire, la société Trafigura, une multinationale, basée en Suisse, créée en 1993, qui a généré en 2008, selon Wikipedia, environ 2 milliards de dollars (1,3 milliards d’euros) de chiffre d’affaires et quelque 440 millions de dollars (300 millions d’euros) de profit. Cette entreprise est célèbre… surtout pour ses scandales au premier rang desquels celui de  « pétrole contre nourriture » en Irak, où elle était partie prenante, et surtout l’affaire du Probo Koala, qui date de 2006.

Le drame du Probo Koala

Une victime des déchets toxiques transportés par le Probo Koala (D.R.)

Ce bateau, affrété par Trafigura, transportait alors des déchets toxiques. Ceux-ci devaient être retraités en Europe, à Amsterdam, mais à un prix que la compagnie jugea exorbitant. Elle choisit donc une solution plus simple et moins coûteuse: Abidjan. Dans le port africain, l’encombrante  cargaison fut confiée à un sous-traitant qui se contenta de déverser les déchets dans des décharges à ciel ouvert. Résultat: 17 morts et des milliers de personnes intoxiquées plus ou moins gravement.

Depuis 2006, Trafigura essaie d’échapper à un procès. Pour cela, elle a signé à deux reprises des transactions avec ceux qui la poursuive en justice. Ce sera le cas en 2007 avec l’État ivoirien, pour 152 millions d’euros et en septembre 2009, elle signait un autre accord avec les 31.000 plaignants! Un accord in-extremis, le procès devant la Haute Cour de Justice devant commencer le 6 octobre à Londres [source France 24].

En Grande-Bretagne, avec de bons avocats, le droit peut être très protecteur

Car cela se passe en Grande Bretagne, où le droit, pour peu que l’on possède de bons avocats, peut être très protecteur. C’est le cas pour Trafigura qui s’est offert les services d’un cabinet considéré comme particulièrement « efficace » dans ce genre d’affaire : Carter Ruck. Et ils vont l’être… trop.

Lundi 12 octobre à 20h31, le Guardian publie sur son site un article, un peu vague, disant qu’un tribunal lui interdit d’écrire sur une affaire en discussion au Parlement. La suite est parfaitement racontée sur le site du Guardian par Robert Booth. C’est l’histoire de l’information telle qu’elle se construit maintenant et de la puissance, de la rapidité et de l’efficacité de l’internet en général et d’outils comme les réseaux sociaux et en particulier twitter.

« trafigura », « carterruck » et « guardian », les mots les plus twittés en Europe

Booth raconte que l’un des premiers à s’emparer de l’histoire sera un militant des droits de l’homme de 34 ans, Richard Wilson. En quelques minutes, il va retrouver la question du parlementaire britannique qui pose problème à Trafigura, installer un hashtag (#trafigura), oublier dans le four le gâteau aux bananes qu’il faisait cuire… en même temps se levait une armée de journalistes, bloggers, twitternautes, membres de réseaux sociaux qui se mettaient tous à chercher ce que Carter Ruck (d’ailleurs, 2e hashtag: #carterruck) cherchait à étouffer.

42 minutes après que le Guardian ait écrit qu’il ne pouvait pas parler de Trafigura, car empêché par une injonction légale, « Internet, écrit Booth, avait révélé ce que le journal ne pouvait pas faire ». Et la twittersphère devait continuait à s’enflammer, au point que « trafigura », « carterruck » et « guardian » allait le temps d’une soirée être les mot les plus twittés en Europe (1). Le lendemain, à 12h 19, Carter Ruck pliait, et envoyait un e-mail au Guardian, lui disant qu’il pouvait publier… quelques minutes avant que ne débute un procès devant la Haute Cour, où le Guardian, mais aussi d’autres journaux comme le Financial Times, entendait défendre la liberté d’expression.

Un victoire donc pour cette dernière, résultat d’une singulière —et réjouissante— synergie entre « nouveaux » médias et « vieux » médias. Enfin aussi une victoire sur ce juridisme étouffant qui menace outre-Manche la liberté de la presse [lire : Les journaux peuvent-ils encore se tromper?], et dont l’injonction dont a été victime le Guardian est une illustration.

Notes

(1) En France ce sera, pendant la même période, Jean Sarkozy et tous ses avatars seront les plus twittés…

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