Quelle sera la rédaction du futur ? C’est sur thème qu’étaient organisés Les Entretiens de l’information de ce vendredi 25 mars 2011. Une journée scindée en deux parties: le matin était consacré aux rédactions et à leurs mutations, qu’elles soient old media ou pure players, l’après-midi étant réservée à cette forme particulière de journalisme que sont les blogs.
Dans les débats, il y a parfois des moments cruels. Ce fut le cas ce vendredi 25 mars 2011, lors des Entretiens de l’information. Alignés à la tribune se trouvaient un panel de journalistes à responsabilités, aux côtés de : Didier Pourquery, rédacteur en chef du Monde Magazine, Christian Dauriac, rédacteur en chef de la Radio télévision Belge (RTBF), Benoît Raphaël, ancien rédacteur en chef du Post, et Alain Le Gouguec, également rédacteur en chef à France Inter, qui avait en charge l’animation de ce débat.
La discussion s’achevait, il était 13h00 passée, lorsqu’une jeune journaliste posa cette question:
À question simple, réponse simple: aucun big bang n’est prévu. Il sera vaguement question « d’embauches de reporters », de régularisation de CDD et de pigistes au Monde, qui sort d’une série de trois plans de réduction d’effectif. Pourtant, la pyramide des âges dans les grandes rédactions françaises est totalement déséquilibrée et vieillissante. À France2, a précisé un intervenant dans la salle, l’âge moyen pour une embauche est passé de 33 à 36 ans.
Pas de renouvellement des générations programmé de manière massive dans les grandes rédactions [du moins celles représentées à ce débat], donc, mais aussi comme le reconnaît Didier Pourquery, pas de recherche et développement dans les groupes de presse, permettant de réfléchir à l’avenir et à cette fameuse « rédaction du futur », dont ces Entretiens de l’information avaient fait leur thème central.
Le contraste était brutal le matin entre l’impression de dynamisme, de créativité et d’ambition qui se dégageait du premier panel où avaient été concentrés, des intervenants (1) venus du monde des pure players et le second plutôt centré sur l’évolution relativement lente des « vieux médias ».
Dans le premier débat donc, il n’était question que de salle de rédaction quasi-virtuelle fonctionnant en réseaux, de communication constante entre les membres grâce aux mails, chats et autres Twitter, de conférence de rédaction participative [Philippe Couve, à propos de Rue89], de partage des carnets d’adresses des journalistes qui deviennent des « banques en ligne » [Loïc de la Mornais, à propos de CNN], de mélanges des métiers, entre journalistes, développeurs et graphistes [Régis Confavreux, à propos d’OWNI] de modèles économiques innovants, comme celui d’OWNI qui vit de l’activité de web agency, de travailler à « l’envie » [Johan Huffnaguel à propos de Slate.fr], de fédération de blogs pour fournir une information internationale multilingue [Claudine Dufaux, à propos du projet BWB], etc.
Un pragmatisme revendiqué
Dans le second, il était surtout question de faire évoluer ces lourdes machines que sont les rédactions « installées ». « Il nous faut rebâtir un offre et assurer une cohérence dans cette offre », expliquait par exemple Didier Pourquery, du Monde. Il mettait en évidence les premiers pas fait dans cette direction: la mise en place d’un « desk numérique », qui emploie une « équipe d’éditeurs venant du papier mais qui sont tournés vers le net ». Il montrait comment les journalistes du papier s’investissaient de plus en plus sur le web, citant comme exemples les « portfolios commentés », comme celui réalisé par Rémy Ourdan l’envoyé spécial en Lybie avec un photographe, les blogs tenus par des journalistes spécialisés, comme celui de Pascale Robert Diard, qui lui « permet de faire le feuilleton d’un procès sur le web », ou encore les chats. Mais ajoutait-il, « l’intégration [entre rédaction papier et web] ne se décrète pas ».
Même politique d’évolution progressive — »pragmatique »— à la RTBF, où désormais la rédaction de 150 journalistes est regroupée —dans une même salle— pour l’essentiel à Bruxelles. Une organisation qui donne la primeur au reportage [force traditionnelle de la RTBF], mais où désormais les reporters produisent pour la télévision, la radio ou le web [des éditeurs travaillent exclusivement pour le web]. Une organisation appelée encore à évoluer, car racontait Christian Dauriac, tout en pianotant sur son smartphone pour caler le déroulé du prochain JT, « nous envisageons des BLIC [Bureaux locaux d’information] nomades ».
Une différence de vitesse et de modalités donc, mais le processus de mutation semble bel et bien engagé. Il l’est d’autant plus que des membres des rédactions vont aussi chercher des idées à l’extérieur. C’est le cas de Loïc de la Mornais de France 2, qui revenait d’une formation au sein de CNN. Difficile de dire si ses observations seront reprises et, si elles le sont sous quelle forme ce sera au sein de France Télévisions.
Ces remarques tenaient en quelques points cruciaux:
- à CNN , travailler à la rédaction Internet n’est pas dévalorisant, contrairement à ce qui se passe en France: « La chaîne [télé] est regardée par deux millions de personnes, tandis que CNN.com, qui emploie 200 personnes, l’est par 200 millions de personnes. »
- CNN a créé une cellule de veille internet, installé un réseau sur Twitter qui aujourd’hui constitue pour le site une véritable agence de presse gratuite. CNN.com s’est donc désabonné de toutes les grandes agences [y compris l’AFP, « considérée comme non fiable », par les responsables de CNN], ne conservant qu’AP mais pour la seule chaîne télévision.
- d’ailleurs, plus aucun journaliste ne fera un « scoop », car lorsqu’un événement se produit plus aucun journaliste ne pourra être sur place « avant » les amateurs. C’est pour cette raison qu’ils ont développé iReport, qui reprend des vidéos tournées par des amateurs
- CNN utilise de plus en plus la vidéographie [des Canon Mark II] car cela permet de réaliser des vidéos et de prendre des photos. Ces photos seront utilisées par le web.
- À rebours de ce qui se passe en France, les responsables de CNN considèrent que le web c’est d’abord du texte et de la photo, car pour eux « la vidéo ne marche pas sur le web ». Il est plus rapide de lire le texte d’une interview par exemple que de visionner quinze minutes de vidéo sur le web. Traduit autrement, cela signifie que le journaliste qui a réalisé l’interview vidéo pour la chaîne, doit ensuite la rédiger pour le web.
- CNN.com n’est pas rentable, et ne génère que 2% des revenus du groupe, mais cela ne remet pas en cause la nécessité de le développer.
Quelques pistes seront esquissées
Est-ce l’amorce d’une forme de rédaction du futur ? En fait, bien que peu de temps ait été consacré à cette question lors des deux débats, qui traiteront surtout de l’existant et des mutations en court, quelques pistes seront esquissées, notamment par Benoît Raphaël, qui pense que quatre phénomènes doivent être pris en compte :
- l’écriture automatique d’articles par des robots, comme c’est déjà le cas par Bloomberg et un site sportif américain StatSheet [lire Le Journalisme artificiel est en ligne]
- le travail de mise en scène de l’information réalisé par des sites comme The Huffington Post ou Business Insider
- la capacité des médias à s’appuyer sur l’énergie des réseaux
- le fait que la barrière entre la production et l’édition d’information s’affaisse, et que l’on passe de plus e plus à un rythme multipolaire, avec une rédaction unique [pour tous les supports] de journalistes de terrain et des éditeurs chargés de décliner cette production sur les différentes plateformes et selon des formats particuliers.
L’après-midi sera consacré aux blogs de journalistes. J’ai réalisé un Storify, Les blogs en question aux Entretiens de l’information sur ce débat, à partir du flux Twitter #redfutur.
Il existe d’autres comptes-rendus de cette journée, sur L’Observatoire des Médias de Gille Bruno, qui assura la couverture de la journée en live vidéo grâce à UStream, sur Cross Media Consulting, d’Erwan Gaucher qui a interviewé Philippe Couve, l’un des intervenants de cette journée, et sur Regardailleurs, le blog à plusieurs mains auquel participe Jérémy Joly. Enfin, l’activité des Entretiens de l’information peut être suivie sur le site de cette association, animée par Jean-Marie Charon.
Les différents débats et intervenants
Expériences de rédactions
Animé par Loïc Hervouet. Discutant : Yannick estienne (ESJ-Lille), avec la participation de Régis Confavreux(partenaire associé à Owni), Philippe Couve (Rue89), Claudine Girod (BWB), Johan Hufnagel (Slate.fr), Loïc de la Mornais (France 2).
Quelle rédaction demain ?
Animé par Alain Le Gouguec (France Inter), avec la participation de Christian Dauriac (RTBF), Didier Pourquery (Le Monde Magazine), Benoit Raphaël (ex Lepost.fr)
Regards croisés sur les blogs de journalistes et rédactions
Animé par Bernard Delforce (ESJ-Lille), avec la participation de Florence Le Cam (IUT Lannion), Arnaud Mercier (Université Paul Verlaine) et Denis Ruellan (IUT Lannion).