En écoutant —et réécoutant— Nicolas Sarkozy détaillant, le vendredi 23 janvier 2009, son plan « pour sauver la presse écrite », 3 questions se bousculaient: son analyse de la crise était-elle pertinente ? Ses orientations étaient-elles réellement susceptibles de relancer la presse ? N’était-ce pas trop peu, trop tard?
Nicolas Sarkozy, pour établir les propositions qu’il a présenté le 23 janvier 2009, s’est essentiellement appuyé sur le travail réalisé pendant les États généraux de la Presse Écrite, formalisé dans un document baptisé Livre Vert. Toutefois, il a pris soin de citer les « initiatives parallèles » effectuées par les Assises du Journalisme ou le Rassemblement des Associations de Journalistes (RAJ) et l’Appel du théâtre de la Colline, initié par MediaPart notamment.
Ces propositions constituent un vaste —et coûteux— plan de sauvetage de la presse écrite, dont rien n’assure l’efficacité. Sans doute, les aides à la distribution sont elles nécessaires et l’idée d’abonner les jeunes de 18 ans à un quotidien de son choix est-elle judicieuse, mais le déséquilibre entre l’abondance de décisions destinées à la seule presse « papier » et l’absence de réelle ambition [et dans ce genre de discours, cela se traduit en décisions concrètes et chiffrées] pour le numérique est trop flagrant pour ne pas être noté.
À cette première déception, s’ajoute celle liée à un un « virage déontologique » à demi négocié. La faute au refus d’installer un Conseil de presse, instance de médiation, en parallèle à l’introduction d’un code de déontologie dans la convention collective, et celle liée à l’abandon de la « reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle ».
Bref, ce sont les outils de la transparence du travail journalistique, et les moyens de (re)nouer un dialogue avec le public qui ont été ainsi sacrifiés. Des choix qui vont dans la droite ligne de la manière dont se sont tenus des États Généraux de la Presse Écrite, dont le grand oublié a été—à côté des journalistes— le public.
Le « papier » est le grand bénéficiaire des 600 millions de l’État
Mais d’abord les chiffres : l’État met au pot 600 millions d’euros sur 3 ans, soit 200 millions par année. Cette somme servira pour l’essentiel à améliorer la distribution de la presse :
• la première année report de la hausse des tarifs postaux. Un report intégralement compensé par l’État, avec un coût de 12 millions d’euros.
• 60 millions pour les marchands de journaux (exonération partielle des charges sociales, soit 4.000 euros par exploitant)
• 80 millions pour développer le portage (l’aide directe passe de 8 à 70 millions; il faut ajouter la suppression des charges sociales, pour « les porteurs payés au niveau du Smic »).
A cela, il faut ajouter :
• L’abonnement pour chaque jeune Français à un quotidien de son choix pendant l’année de ses 18 ans, l’État supportant le coût de la distribution. Le coût n’est pas chiffré, mais il faut compter environ 780 000 Français par classe d’âge. À noter que cette mesure peut être efficace à condition que les journaux proposent un contenu adapté à ces jeunes lecteurs. Sera-ce le cas?
• Le doublement la part de la presse (écrite et numérique) dans les communications de l’État. Le montant n’est pas chiffré.
En clair, on constate que l’essentiel des crédits dépensés le seront pour la presse « papier ». C’est d’autant plus manifeste qu’il faut ajouter à ces 600 millions le coût du « nouveau contrat social » (en clair le coût des licenciements, puisqu’il s’agit de réduire les coûts de 30 à 40%) dans l’imprimerie , auquel participera l’État. Mais ce coût n’est en rien chiffré.
Pour la presse en ligne : des promesses et un statut
Pour soutenir le développement de la presse en ligne… rien, ou si peu:
• La promesse d’un renforcement « significatif » de l’aide au développement de la presse en ligne, sans autre détail ou chiffrage.
• La création du statut d’éditeur en ligne, qui bénéficieront du régime fiscal des entreprises de presse, « à condition qu’ils emploient des journalistes professionnels » et que l’information y soit traitée journalistiquement. Une mesure dont on voit mal l’intérêt, alors qu’il existe déjà un statut d’éditeur de presse qu’il suffisait d’étendre.
• L’adoption d’une TVA à taux réduit pour la presse en ligne, mais Nicolas Sarkozy l’a renvoyée à des négociations au niveau européen. Autant dire que les éditeurs en ligne doivent s’armer de patience, si l’on juge l’efficacité de ces négociations à l’aune de celles qui portent sur la baisse du taux de TVA dans la restauration. Elles durent depuis 10 ans…
Droits d’auteur des journalistes : le « blanc » une amorce de solution?
Concernant les journalistes, Nicolas Sarkozy souhaite « favoriser la diversité socioculturelle dans les écoles de journalisme », notamment par le biais de bourses, et la tenue rapide d’une « Conférence nationale des métiers du journalisme », réunissant écoles, journalistes et éditeurs. Deux points indispensables et non contestables.
Mais il s’est aussi engagé sur la question des « droits d’auteur », en proposant d’adopter comme point de départ d’une négociation à venir le « blanc », ce texte-compromis fruit d’une négociation informelle entre responsables de syndicats de journalistes et d’éditeurs. Il s’agit de remplacer un droit lié à la publication dans un support à un droit lié à un temps d’exploitation.
Ce texte bénéficie d’un consensus relatif, puisqu’il a été repris comme l’une des « recommandations » des États Généraux » et l’une des « propositions » des Assises du Journalisme du 20 janvier 2009.
Il faut souligner que Nicolas Sarkozy, s’est engagé dans la définition [un point sensible] du périmètre de la publication en disant « que donner une identité propre à chaque journal [dans un même groupe] était un moyen de fidéliser les lecteurs »; en clair une publication ce n’est pas un groupe tout entier. Mais il reste à convaincre les éditeurs qui s’opposent à ce texte (certains considèrent les principes —notamment celui de la temporalité— comme étant inapplicables) et… les journalistes auxquels Nicolas Sarkozy demande de faire « un autre pas », sans d’ailleurs préciser lequel.
La déontologie un verre à moitié vide
À juste raison, le président de la République voit dans la déontologie un moyen de « redécribiliser » la presse. Tout a fait logiquement, donc, il propose d’annexer à la convention collective des journalistes un « code de déontologie », qui est à élaborer et de créer des chartes éditoriales par titre.
Mais il manque à l’édifice proposé une pierre essentielle : qui contrôle l’application effective de ce « code » ou de ces chartes? La proposition avait été avancée, lors des Assises du Journalisme, de créer un Conseil de presse sur un modèle qui fonctionne efficacement dans de nombreux pays (Grande-Bretagne, Québec…). Elle n’a pas été retenue. C’est d’autant plus dommageable que c’était un moyen de faire participer le public/lectorat à la question de la déontologie.
L’autre grand absent des « décisions » de Nicolas Sarkozy est la « reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle », balayé d’un : les éditeurs ne peuvent « accepter d’être écarté du projet éditorial ». Il reprend ainsi une vision totalement fausse du projet porté, notamment, par les Assises du journalisme. Dommage.
Nicolas Sarkozy présente ses « décisions » le 23 janvier 2009