Les deux auteurs, Alfred Hermida, enseignant à l’école de journalisme de l’Université de British Columbia de Vancouver (Canada), et Neil Thurman du département de journalisme de la City Université de Londres, ont étudié les pratiques des sites des 12 quotidiens nationaux britanniques (du Times au Sun en passant par le Daily Telegraph et le Daily Mail) et interviewé leurs responsables.
Maintenir la réputation de marque
Le « clash » dont il est question tient au fait que les éditeurs continuent de douter de l’intérêt tout à la fois éditorial et commercial de l’apport du public. Ils se refusent en particulier à abandonner leur rôle de gate keeper de l’information, tant pour des raisons légales et que par souci de maintenir leur réputation et celle de leur « marque » (brand). Cela les conduit « à mettre en place des processus éditoriaux qui permettent d’intégrer une forme de diversité d’expression dans l’information, et à filtrer et agréger les UGC de manière utile et rentable vis-à-vis de leur public. »
Sur les 12 quotidiens étudiés en novembre 2006, seul Independent.co.uk n’avait aucun outil participatif (depuis, le site a créé une rubrique « blog », mais elle est loin d’être valorisée). Certains comme DailyExpress.co.uk ne disposaient que de deux outils (c’est encore le cas, aujourd’hui) : blogs et une rubrique Have you say, dans laquelle ce sont les journalistes qui choisissent les sujets auxquels répondent les internautes. Par la suite, la rédaction sélectionne, édite et publie les réponses.
La peur d’être marginalisée par les internautes
D’autres, au contraire, utilisaient pratiquement toute la palette, comme Guardian.co.uk ou TheTimes.co.uk, DailyMail.co.uk et surtout TheSun.co.uk. Les auteurs remarquent qu’en 2 ans le nombre de trois « formats participatifs », les blogs, les commentaires et les Have you say, a fortement cru. Pour les blogs, les sites les plus en pointe à l’époque étaient ceux du Times et du Telegraph, mais aujourd’hui le Guardian a largement rattrapé son retard.
Cette volonté de rattrapage s’expliquent pour une large partie par « la peur ressentie par les rédactions en chef et les directions d’être marginalisées par les internautes »… et par leur propres rédacteurs. Pour éviter que ces derniers ne créent des blogs indépendants, où ils pourraient publier les articles qui n’auraient aucune chance de paraître dans l’édition papier, ils se voient offrir un espace appartenant au site.
Un article est dix fois plus cliqué que les commentaires
Toutefois, les responsables rencontrés par les auteurs maintiennent tous que le travail des journalistes professionnels est largement supérieur aux contenus proposés par les auteurs. Ils en voient pour preuve qu’un article est « dix fois plus cliqué que les commentaires qui lui sont attachés ». S’ajoute la crainte de voir la renommée du journal (de la marque, plus exactement) écornée. Pour cette raison, la quasi totalité des sites refusent de publier les commentaires sans validation.
Deux journaux font exception Scotsman.com, qui modère a posteriori les commentaires (récemment, le site a introduit une modération a priori sur certains sujets et le signale) et TheSun.co.uk qui a introduit un site sœur MySun.co.uk accessible depuis un onglet de la page d’accueil, sur lequel les lecteurs peuvent installer en quelque sorte leur propre journal.
La gestion des UGC est coûteuse
Cette gestion des commentaires et plus largement des UGC est revendiqué par les responsables de site comme étant un moyen de renouer avec le rôle traditionnel de la presse qui est de sélectionner, vérifier et hiérarchiser les informations. « Quel lecteur a le temps de lire 15 000 commentaires ? » s’interroge l’un d’eux. Une gestion qui a un coût, qui conduit certains sites à sous-traiter cette tâche et d’autre à renoncer aux UGC, comme Independent.co.uk par crainte d’y consacrer trop de ressources au détriment du travail journalistique proprement dit.
• A Clash of Culture est téléchargeable sur le site de Journalism Pratice (Routledge). (Accès payant)