- Plantu et Le Monde, une histoire de couple
- La tablette est-elle l’avenir de la presse magazine ?
- et si on utilisait les émoticônes dans les articles ?
- Scatologie à la une avec le Daily News
1. Plantu et Le Monde, une histoire de couple
Dans son édition datée du 1er octobre 2013, Le Monde publiait un dessin de Plantu. Il représente côte à côte deux deux personnages vociférants: le premier un « islamiste », interdit à une petite fille d’aller à l’école tandis que le second, un militant de la CGT, empêche une femme de travailler le dimanche. La publication a provoqué quelques vagues et mérite que l’on s’y arrête, car elle offre un champ de réflexion intéressant sur l’évolution du journalisme et des médias.
Premier point. Ce dessin, que l’on aime ou non la caricature, que l’on aime on non la liberté d’expression, n’est guère défendable, et ce pour de multiples raisons:
- qu’est-ce que l’islamisme ? L’un des personnages est barbu, la tête couverte d’un turban, porte une robe vert clair marqué du croissant vert, et il se trouve en dessous d’un panneau -vert bien sûr- sur lequel est inscrit en capitales ISLAMORAMA. Plantu dira plus tard qu’il s’agit d’un taliban. Peut-être, mais sur le dessin, tous les codes (couleur, barbe, turban, croissant vert…) renvoie à l’islam et non spécifiquement aux talibans. Or, l’islam est une religion qui n’interdit pas aux petites filles d’aller à l’école. Par son dessin, Plantu ne peut que renforcer le courant islamophobe en France.
- la CGT. À en croire le dessin ce serait une affaire d’hommes! D’où tient-il cela? Par exemple, une simple vérification montre que le bureau confédéral, l’instance dirigeante de la CGT, est composé à parité de cinq hommes et cinq femmes, et je me suis épargné l’analyse des tracts et autres documents des différents congrès de la CGT. Visiblement Plantu à une vision de la CGT archaïque. C’est pourtant celle-ci qu’il projette dans son dessin.
- le travail du dimanche. D’après ce que j’ai lu et compris [voir ici et là, par exemple], la CGT n’est pas opposée au travail du dimanche, en particulier des femmes, mais souhaite que cela soit encadré et qu’il y ait un débat. Elle insiste sur le fait que les femmes sont les premières victimes du travail précaire et des horaires atypiques et doivent donc bénéficier de mécanismes protecteurs. Disons -pour être gentil- que Plantu a une lecture partiale et partisane des positions de cette organisation syndicale.
- le rapprochement CGT-islamisme. Plantu veut, dans ce dessin, rapprocher à toutes forces deux éléments qui n’ont aucun rapport entre eux. Du coup, il provoque -ce me semble, mais je ne suis pas un spécialiste de l’analyse de l’image- l’effet inverse de celui qu’il recherche. En revanche, Plantu paraît obsédé par ce rapprochement entre CGT et islam au point qu’interrogé par Europe1, il n’hésitera pas à parler d’une « fatwa de la CGT », affirmant que « les dessinateurs de presse depuis 1945 n’ont jamais le droit de critiquer le syndicat du Livre-CGT« .
Mais ce dessin, les réactions qu’il a suscité -et suscite encore-, les modes de défense adoptés par le dessinateur et ceux employés par son journal ne peuvent que provoquer une réflexion sur l’évolution du journalisme et des médias.
D’abord, il faut rappeler que Jean Plantu travaille pour Le Monde depuis 1972, que sa production couvre sur tous les sujets [portfolio ici], et que son dessin est installé en une depuis 1985. Il a également travaillé pour d’autres titres, notamment L’Express, pour la télévision, etc. il a aussi reçu de nombreux prix et a lancé Cartooning for Peace avec l’aide de l’ancien Secrétaire général de l’Onu, Koffi Annan. Il s’agit avec cette initiative de défendre la liberté d’expression. Il recevra à ce titre, le 20 décembre 2010, un prix offert par le Quatar, Doha Capitale Culturelle Arabe. À cette occasion, Plantu prononcera un discours de remerciement controversé, et qui mérite d’être relu au moment ou il s’affirme victime de fatwa et attaque les « islamistes »:
Que ce soit au Qatar ou au Proche-Orient, j’apprends beaucoup sur la liberté d’expression et sur la liberté de penser. (…) j’ai pu constater à quel point Doha était le centre des rencontres et de tolérance des journalistes et des dessinateurs du monde entier.
Plantu est donc maintenant une vedette et de facto une marque. En témoigne l’importance de sa page Facebook, et l’engagement qu’elle suscite [Il n’est sur Twitter – @JeanPofficiel – que depuis le 3 septembre 2013]. Cette « marque Plantu » s’est développée historiquement à l’ombre de celle du Monde, et aujourd’hui on peut considérer que ces deux « marques » vivent en symbiose
Mais elles ne sont pas sur le même plan et obéissent à deux logiques.
D’un côté nous avons Le Monde, héritier du journalisme de faits et d’analyse, distancié, porté par Hubert Beuve-Méry. Sans aucun doute, il a fortement évolué depuis que son fondateur en a quitté la direction, mais il continue -du fait de sa position main stream– de pratiquer ce que l’on pourrait appeller le « journalisme de consensus » dans la foulée de ce que décrit Clay Shirky (1):
L’un des moyens commun aux journalistes pour identifier la vérité est de rechercher un consensus opératoire entre les acteurs concernés. Pour les deux dernières générations de journalisme, l’accent a été mis sur le consensus (…). Il était facile de trouver des voix traditionnelles et difficiles à trouver celles marginales ou hétérodoxes (…) Pour les journalistes aspirant à rendre compte d’une position d’arbitrage impartial, la preuve de consensus est considéré comme une preuve de la vérité
Il pointe là le recours aux « experts » et surtout la volonté d’un rédaction de prendre une « position d’arbitrage impartial ». Les démêlés de l’un des journalistes chargés de l’environnement au Monde, Hervé Kempf, jugé « trop marqué » pour suivre le dossier Notre Dame des Landes est, de ce point de vue, illustratif [son point de vue ici], d’un journal qui entend rester « au-dessus de la mêlée ».
Plantu pratique un tout autre journalisme. Ce qui a été refusé à Hervé Kempf lui est accordé en permanence. Il a le droit d’avoir des opinions, de les dessiner et mieux il peut les exposer en page une. Il veut susciter le débat par ses dessins qui sont autant de prises de position, comme il le dit à plusieurs reprises [ici par exemple à Sud-Ouest]. Mais ce faisant, il se place à l’opposé de la culture journalistique du Monde. Par exemple, en 2009, Alain Frachon, alors directeur de la rédaction, cité dans la chronique de la médiatrice d’alors, Véronique Maurus, fait l’apologie du journalisme de consensus: « Le Monde ne souhaite choquer personne; il n’a pas pour objet de heurter les sentiments religieux des uns et des autres. Mais la caricature fait partie de ses instruments pour dire le réel. »
Or, souligne Clay Shirky le type de journalisme prôné par Alain Frachon fonctionne mal dans l’environnement informationnel du monde actuel, où tous les énoncés, toutes les opinions -marginales ou non- sont désormais à portée de clic. Cela fait, explique le chercheur américain:
du journalisme ‘il a dit, elle a dit‘ une forme de plus en plus irresponsable, [c’est] moins un moyen d’offrir un le débat équilibré et de raison mais plutôt un moyen de se soustraire à la responsabilité d’informer le public.
Il faut ajouter un autre facteur déstabilisant dans le couple « Plantu – Le Monde », le fait que le débat ne se fait plus sur le site du Monde [je n’ose dire dans les colonnes du journal], mais ailleurs. Le dessin incriminé a provoqué sur le blog de Pascal Galinier, le médiateur, une poignée de réactions. Le contraste est fort avec l’avalanche provoquée quelques années plus tôt par le dessin sur Benoît XVI. Véronique Maurus raconte que les courriels arrivèrent à la rédaction au rythme de 500 par heure! Sans doute s’agissait-il d’une « opération troll » particulièrement bien menée, mais aujourd’hui très clairement, le débat et l’engagement se sont déplacés sur les réseaux sociaux: Twitter , mais aussi Facebook et en l’occurrence sur la page de Plantu. Le dessin « sur le dimanche » qu’il a publié sur son mur, a suscité plus de 650 like, 150 commentaires, et surtout 500 partages; et ce n’est pas ce dessin qui a suscité le plus d’engagement!
De ce point de vue, Plantu vise juste. En provoquant, il génère du débat. Le seul problème tient au frottement provoqué par la rencontre entre deux éléments antinomiques : le « journalisme de brèves de comptoir » et le « journalisme de consensus ». Le premier a le vent en poupe, il n’est pas sûr que dans un avenir proche il ait encore besoin d’un média main stream pour prospérer, le second est dans une longue déshérence provoquée par son inadaptation croissante au nouvel environnement informationnel.
Pour appuyer mon propos, j’ai décortiqué la chronique de Pascal Galinier. Elle est révélatrice de cette forme de journalisme « il a dit, elle a dit » [dans ce cas précis, les opposants et les détracteurs du dessin] désormais épuisée.
Notes
- The New Ethics of Journalism, Principles for the 21st Century, sous la direction de Kelly McBride et Tom Rosenstiel, Sage, CQPress, septembre 2013, 256 pages. Clay Shirky en a rédigé le premier chapitre: Truth without Scarcity, Ethics without Force [« Vérité sans rareté, éthique sans force »]
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2. La tablette est-elle l’avenir des magazines ?
Le magazine semblait intéressant. Rien de bien bouleversant, il était question de gadgets High Tech, mais la présentation avait l’air soignée et innovante, et la démonstration engageante [voir ici]. Bref de quoi mettre en appétit. Restait à le trouver sur l’Appstore. Je tape le nom du magazine SHIFT… en minuscules… en capitales… j’ajoute magazine… À la dixième tentative j’ai fini par trouver. Je n’aurais pas été aussi persévérant si je n’avais pas lu peu avant l’article de John Lund, Why tablet magazines are a failure [Pourquoi les magazines de tablettes sont un échec].
John Lund ne parle pas spécifiquement, dans son article, de la difficulté de trouver une application, mais du fait que l’on utilise peu -voire pas- les applications que l’on installe sur son smartphone ou sa tablette. Par exemple, dit-il, un usager [américain] télécharge en moyenne 41 applications sur son smartphone, mais n’en utilise en réalité que 8 quotidiennement, dont Facebook, YouTube et des applications de jeu et 22% des applications ne sont ouvertes qu’une seule fois.
Pire, explique-t-il, lorsqu’un magazine n’est disponible qu’avec une application, il n’est plus dans le flux du web, car les articles ne sont plus être ni indexés ni recherchés [ils ne sont plus « searchable »]. Pire encore, les applications de magazines se vendent mal. J’extraie ci-dessous quelques exemples d’un tableau qu’il publie dans son article.
- Le New Yorker compte une diffusion [papier] de 1.056.000 exemplaires, tandis que son application numérique payante ne compte que 78.511 abonnés, soit 7% de la diffusion totale
- Pour Vanity Fair, les données sont respectivement de 1.217.000 exemplaires, et 75.300 abonnés, ce qui représente 6% de la diffusion totale
- GQ avec 10% de la diffusion totale assurée par le numérique et Wired avec 12% tire mieux leur épingle du jeu, mais rappelle John Lund, le site de Wired attire chaque mois environ 20 millions de visiteurs uniques, ce qui relativise largement le succès de l’application.
C’est ici que je reviens à SHIFT. John Lund trouve les applications magazine pensées pour les tablettes particulièrement boring:
J’ai l’impression de tenir un produit vieillot dans mes mains. C’est ironique parce que les applications ont tendance à être visuellement attrayantes, avec des infographies interactives, des vidéos et des outils de navigation bien conçu. Mais la mise en page magnifique qui fonctionne si bien sur papier devient rigide, presque effrayante, dans son perfectionnisme sur l’iPad, et je me retrouve nostalgique du web.
Sans doute est-il extrême, mais il est vrai que trop souvent les applications sont conçues comme des sortes de super CD-Roms fermées, comme si Internet et le web n’existaient pas. Ce n’est pas le cas de SHIFT qui est bien réfléchi sur le plan de son intégration dans le web et les réseaux sociaux, et qui formellement se démarque des magazines papier, en proposant en particulier des vidéos assez bluffantes. Reste à savoir si je l’ouvrirai de nouveau.
- À signaler que je reste abonné pour l’instant à The Magazine. J’avais fait l’éloge de ce magazine « pure app » il y a quelques mois, mais que j’ai tendance à l’ouvrir de moins en moins souvent.
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3. Et si l’on écrivait avec des émoticônes ?
Depuis iOS6, il est possible d’écrire directement dans une application de son smartphone ou de son iPad. On pouvait croire que c’était un gadget destiné à un public d’adolescents. Avec iOS7, il me semble que nous entrons dans une autre dimension, avec l’apparition de nouvelles icônes, mieux dessinées, au point que le langage émoticônes pourrait être utilisé pour rédiger des articles, tout comme ont rédigeait autrefois des rébus. Mais l’exercice est difficile, car le risque de fausse interprétation est fort.
Voici quelques phrases que j’ai rédigées :
[l’écriture change pour le meilleur et pour le pire]
[la fête des mots]
4. Scatologie à la une du Daily News
S’agit-il de la « Maison des Cons », comme le traduit « politiquement correct » Caroline Piquet dans Slate.fr, ou comme j’aurais tendance à le traduire plus littéralement « Maison des étrons » ou « Maison de merde », le Daily News a fait très fort avec sa une du 1er octobre consacré au Shutdown. Le tabloïd new yorkais y représente John Boehner, le « speaker » républicain de la chambre des représentants du Congrès américain, assis sur une sorte de trône, les mains dégoulinantes de merde.
L’iconographie renvoie directement à l’affiche de la série House of cards [distribuée par Canal+ en France] mais surtout à une image américaine iconique, celle de d’Abraham Lincoln siégeant dans le hall du Mémorial qui lui est consacré à Washington. Il était difficile -dans un contexte américain- d’utiliser une image plus forte pour montrer à quel point la démocratie américaine était salie.