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Paris Match: le magazine "institution nationale"

Coup sur coup viennent de paraître deux livres consacrés à Paris Match, à l’occasion de son 60e anniversaire. Le premier, de Benoît Gysembergh, raconte les photographes qui ont fait le magazine, le second de Jean Durieux et Patrick Mahé, deux anciens rédacteurs en chef, évoque les « dossiers secrets » du journal. Bref, nous avons, pour paraphraser le slogan publicitaire, « le choc des images et le poids des photos ». L’occasion de revisiter l’histoire du journal.

Si l’on s’en tient aux chiffres, Paris Match demeure aujourd’hui un solide hebdomadaire —chaque numéro s’est vendu en moyenne à plus de 700.000 exemplaires en 2008 selon l’OJD —  bien intégré dans le premier groupe de presse fançais, Lagardère Active. Petite alerte toutefois l’année dernière. Selon les chiffres de l’éditeur, la diffusion France a diminué de 3,5%. Et il vient de se relancer sur Internet avec un nouveau site .

Mais les deux ouvrages ne parlent pas de cette actualité; ils traitent de ce qu’il faut bien appeler la « légende ». Jean Durieux et Patrick Mahé n’hésitent pas, par exemple, à convoquer Henry Luce, le propriétaire [et fondateur] de Life pour cette citation définitive: « Paris Match? Le meilleur magazine du monde. » Pas moins… 

Nourrir la légende qui fait partie de ce journal

Cette légende, Alain Genestar, l’avait nourrit aussi lorsqu’il écrivait dans son dernier éditorial comme directeur, titré La Photo :

« C’est la photo qui est devant  moi, dans mon bureau de Paris Match, depuis maintenant sept ans (…) prise à Budapest, durant les événements de 1956. Sur le tirage, elle est signée: Jean-Pierre Pedrazzini (…) Depuis sept ans, avant d’écrire l’éditorial, je regarde cette photo. J’imagine ce que lit cet homme [J-P Pedrazzini a été tué lors de ce reportage], ce qui l’intéresse, le passionne, tant ses pensées, sa détermination, sa fierté, peut-être sa colère, sa révolte même. Entre lui et moi s’est établie une sorte de dialogue hebdomadaire. Écrire pour Match n’a de sens que si l’écriture est accompagnée d’une photo ou inspirée par elle… »

Photo et écriture… Petite et grande histoire mêlées… le cocktail que s’efforce de réussir à chaque numéro l’équipe de Paris Match est difficile, avec toujours cette frontière poreuse entre la vie privée et la vie publique. Mais la légende retient surtout les moments de grâce:  la rencontre de Grace et de Rainier provoquée par un photographe de Match, les aventures de Mesrine, la saga Mitterrand (de la « révélation » Mazarine à sa photo sur le lit de mort), les guerres d’Indochine, d’Algérie et aujourd’hui d’Afghanistan, mai 68, Brigitte Bardot, Alain Delon, Gérard Depardieu posant nu…  sans oublier le clou final: les amours de Nicolas Sarkozy qui valurent à Alain Genestar son Expulsion

À multiplier les anecdotes, on perd la vision d’ensemble

Mais ce patchwork de sujets donne-t-il vraiment à comprendre ce que fut ce magazine et ce qu’il est toujours peu ou prou. À multiplier ainsi les anecdotes, la vision d’ensemble se perd. S’il est une critique que l’on peut adresser au Dossiers secrets de Paris Match, le livre de Jean Durieux et Patrick Mahé, ce serait celle-là.

La seconde serait de placer les rédacteurs et les photographes du journal au centre de leur narration. Qu’il s’agisse de retrouver le Dr Garetta, de photographier les appartements privés du pape ou Georges Marchais, alors secrétaire général du Parti communiste sur une plage en Corse, l’exploit accompli par les reporters et les photographes [planque pendant des heures, tour du monde express, etc.] prime sur le reste. Dommage.

L’histoire de ce magazine peut s’écrire autrement, qu’il s’agisse de sa naissance tardive, de son enfance difficile, de sa petite mort des années 1970 puis de sa renaissance avec le rachat par le groupe Hachette-Fillippachi et le retour de Roger Thérond. Tout cela peut se résumer dans la courbe d’évolution des ventes du journal (ci-dessous).

que 

Cette série n’a qu’une valeur indicative, les sources n’étant pas homogènes. Sources: « Oui Patron… » de Philippe Boegner; Histoire Générale de la Presse française; La Presse magazine de Jean-Marie Charron; OJD.

Une naissance tardive

La 1ère couverture de Paris Match

25 mars 1949. Paris Match est un bébé tardif, en tout cas, il est très en retard par rapport à la multitude de journaux qui sont nés à la Libération. À cela une explication simple: son fondateur Jean Prouvost a été longtemps obligé de se cacher, car menacé d’un procès pour collaboration. Il pourra l’éviter grâce au soutien sans faille de Philippe Boegner [fils du pasteur Marc Boegner, l’une des grandes figures du protestantisme français] et Hervé Mille notamment. Ils  pourront démontrer, comme le dira dans un arrêt en 1947 la Chambre d’accusation de la Haute Cour de Justice, que Jean Prouvost, éphémère ministre de l’Information du gouvernement de Paul Reynaud [aux côtés du Général de Gaulle] s’était « réhabilité en prenant une part efficace, active et soutenue à la Résistance contre l’occupant ».

Jean Prouvost va pouvoir se relancer, avec l’aide financière des Beghin, industriels du sucre. Il obtient d’Henri Queuille, alors président du Conseil, l’autorisation de refaire paraître Match, un hebdomadaire qui n’a pas paru sous l’occupation. Il est rebaptisé Paris-Match et l’aventure peut commencer. 

Les débuts sont cahotiques. « Notre échec [initial], explique Philippe Boegner son directeur d’alors, vient d’une absence de choix entre les différentes directions capables de nous mener au succès ». Résultat en décembre 1949, le journal a perdu 200 millions de francs, et vend autour de 180.000 par numéro.

Mais c’est au cours de cette première phase que les hommes clés du succès s’installent:

• Les fidèles de Jean Prouvost, qui l’ont accompagné avant guerre et pendant l’occupation: Philippe Boegner, ancien rédacteur en chef de Vu et de Marie Claire (créé par Jean Prouvost et hebdomadaire d’avant-guerre) et Hervé Mille, co-directeur du début part rapidement, pour rejoindre France Soir et Pierre Lazareff, et de revenir à Paris Match.

• Raymond Cartier, alors correspondant à New York. Il sera longtemps la colonne vertébrale idéologique du journal. Extrêmement didactique, prodigieux écrivain, il s’avérera anticolonialiste… à sa manière. Celle-ci peut se résumer dans la célèbre formule « la Corrèze avant le Zambèze »; dit autrement, développons la France avant l’Afrique et donc débarrassons-nous des colonies qui nous coûtent [en 1950 l’empire colonial français est encore une réalité].

Gaston Bonheur et sa bande, dont Raymond Castans, « toujours là pour avoir une idée en plus » et Roger Thérond dont Ph. Boegner écrit qu' »il porte en lui un journal et nul doute que ce journal est Paris-Match ».

• Jean Rigade dont la moindre qualité, toujours selon Philippe Boegner, serait d’avoir cette « rare intuition de ce qui va intéresser les autres, de ce qui va devenir événement ». C’est lui qui règne sur la jeune équipe de reporters photographes, Walter Caronne, Jacques de Potier, Jean-Pierre Pedrazzini, Filipacchi…

• les rédacteurs parmi lesquels Jacques Sallebert, Guillaume Hanotaux, Raymond Tournoux, Robert Serrou, Vadim… 

La phase de décollage

Le journal va finir par décoller. Mais pour cela, il aura d’abord fallu un travail de fond, et donc définir ce que doit être Paris Match. C’est Gaston Bonheur qui va s’y atteler. Voilà sa définition: 

« Le destin de Paris Match est de devenir une sorte de magazine ‘institution nationale‘. Pourquoi? Parce que, comme le dit très justement Raymond Castans, Paris-Match se définit par un fait d’observation: ‘C’est le journal que l’on n’oublie pas dans le train‘. Et c’est par conséquent le journal que l’on rapporte à la maison, dont on fera la collection qui ornera le guéridon du salon (…) Ce sera pour la maison un cadeau, un enrichissement. Mon ‘standing‘ et celui de ma femme s’en trouveront ‘flattés‘. Donc, au prix de vente élevé doit correspondre chez nous un soucis d’enrichir, de flatter, de prendre les gens pour mieux qu’ils ne sont, d’élever, d’embellir. On s’adresse à des gens ‘biens‘. »

C’est en fait la trame profonde de Paris Match qui est ici dessinée. Pour le décollage proprement dit, il ne reste plus qu’un peu de chance. Elle passe sous la forme d’une série de photos montrant l’exploit de l’alpiniste Maurice Herzog, victorieux de l’Annapurna. Cette chance, Philippe  Boegner la saisit en signant un chèque de 600.000 francs, une fortune pour l’époque.

Ce sera le deuxième trait de Paris Match, un héritage de Jean Prouvost: « Rien n’est cher si cela fait monter les ventes… » Un calcul juste; les ventes s’envolent: 330.000 exemplaires pour ce numéro. Et ici, c’est la troisième leçon, Paris Match sera un journal de « coups », de « scoops », d' »exclusivités ». Tout ceci explique pourquoi les notes de frais des reporters et photographes seront longtemps pharaoniques: c’était nécessaire pour faire ce journal-là, tout simplement.

Décrocher le million

Décoller ne suffisait pas, Paris Match restait fragile. Il va bénéficier par ricochet, du rachat en 1950, du Figaro de Pierre Brisson par le tandem Jean Prouvost-frères Beghin. Un moyen pour « améliorer à travers le soutien promotionnel du Figaro, la situation du Figaro » , explique Philippe Boegner. Mais surtout le magazine « institution nationale » va se mettre à tourner à plein régime, avec tout d’abord un numéro consacré à la mort de Pétain, suivi quelques mois plus tard d’une série de 3 numéros consacrés successivement à la mort du roi Georges VI et à l’événement de la reine Elisabeth. La barre du million d’exemplaires est franchie pour le dernier numéro de cette série. 

Là encore, la leçon ne sera pas perdue: le décès d’une personnalité déclenche automatiquement un numéro spécial [50 envoyés spéciaux pour les funérailles de Churchill] qui tire les ventes. Elle ne sera pas perdue également sur le plan de l’orientation politique du journal. Créé en pleine guerre froide, Paris Match se caractérisera par son anti communisme [il faudrait relire Raymond Cartier], mais surtout par des choix conservateurs qui perdureront au fil du temps: Paris Match sera ainsi le journal des têtes couronnées [il suffit de penser à la saga Monaco ou à celle de la famille royale britannique], de l’armée [toujours valorisée au fil des reportages], etc.

De tradition, Paris Match penche à droite. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la photo prise par Jean-Marie Périer, en 1999, pour le cinquantenaire du journal. Elle regroupe « 77 acteurs de l’Histoire » et comme dans un banquet, le placement des invités à toute son importance. On y voit au premier rang les personnalités politiques de droite: Valéry Giscard d’Estaing, Mme Pompidou, Edouard Balladur, Simone Veil, Pierre Messmer et Alain Juppé. Michel Rocard et Pierre Mauroy doivent se contenter du deuxième rang.

Roger Thérond: le Steve Jobs de Paris Match

Mai 68. Jean Prouvost tient les rênes du journal [Philippe Boegner a été évincé en 1953, puis Gaston Bonheur en 1962], secondé par Roger Thérond. La rédaction bouillonne. Elle veut créer une Société de Rédacteurs. Jean Prouvost réagira en patron absolu, « Si elle [SdR] se fait se sera contre moi (…) N’oubliez pas que le journal est fait par les élites; ce n’est pas le nombre qui fait le journal (…) Ce n’est pas avec des cloches qu’on fait un grand journal ». 

La Société des journalistes se constituera, mais l’affaire entraînera le départ de Roger Thérond et… l’affaiblissement progressif du journal. Les « cloches » sonneront moins bien et les ventes vont progressivement diminuer de plus de moitié. « En 1976, dit Gérald de Roquemaurel, Paris Match est au plus mal. Officiellement, ses ventes tournent autour de 500.000 exemplaires, mais en réalité elles sont beaucoup plus basses ». Jean Prouvost décide donc de le vendre à Hachette [aujourd’hui Largardère Active], qui s’empressera de le revendre aux… publications Filipacchi, fondées par l’ancien photographe de Paris Match et qui comptent comme éditeur associé… Roger Thérond. 

« Un grand magazine d’information qui s’adresse à tous »

L’affaire est rondement menée. Paris Match est racheté 5 millions de francs de l’époque. Une misère. 5 ans après, dirigé par Roger Thérond qui a repris la barre, il en vaudra 200 fois plus, dit G. de Roquemaurel, sans toutefois que le journal retrouve ses ventes fabuleuses d’antan. Ce dernier analyse ainsi les raisons de ce redressement spectaculaire :

[Pour R. Thérond] « Match, c’est un journal enthousiaste, qui tourne autour de l’aventure humaine, qui raconte l’actualité sous toutes ses formes, du côté des gens qui la font (…) Match était, en 1976, parfaitement en phase avec la société, qui, via la télévision, a mis la sensibilité et l’affectivité au premier plan. (…) Roger en remarquable journaliste qu’il était, a joué de cette corde et a refait de Match, ce qu’il devait être: un grand magazine d’information qui s’adresse à tous. Non pas aux cadres, ou aux femmes, mais à toute la société, et qui en cela donne le ton. (…)

La ligne éditoriale mise en place par Roger Thérond peut se résumer en trois mots. Non pas la formule publicitaire bien connue (« le poids des mots, le choc des photos ») mais une formule rédactionnelle qui a toujours fait ses preuves: ‘tout pour l’événement’. »

Cela passe par des choix coûteux, puisqu’en théorie il devrait y avoir de quoi faire chaque semaine, 2, voire 3 numéros de Match différents! Est-ce encore simplement possible aujourd’hui? 

La perte de « grip » est indéniable

D’ailleurs, on peut se demander si Paris Match possède encore ces moyens fastueux et surtout s’il conserve la possibilité d’être encore le grand magazine d’actualité qu’il fut. La couverture du numéro anniversaire des 60 ans est à cet égard révélatrice : la couverture est consacrée à « 36 actrices glamour » [Paris Match est classé aujourd’hui dans les magazines people aux côtés de Voici et de Gala], tandis que l’actualité politique est repoussée sur le côté. Certes le Dalaï Lama côtoie Barack Obama, et dans les pages intérieures il est réaffirmé que « De Paris à Washington, avec Barack Obama ou Nicolas Sarkozy, Match est là où les décisions sont prises », mais la perte de « grip » est indéniable: les photos d’Obama dans Air Force One sont l’œuvre d’un photographe du New York Times, et la personnalité politique interviewée est Tony Blair, qui ne compte pas réellement dans les « hommes de pouvoir d’aujourd’hui ».

On est de loin de l’époque où, comme le racontent Jean Durieux et Patrick Mahé, « à Paris Match, les Kennedy ont deux intimes: Benno Graziani qui sera l’amant de Lee Radziwill, la sœur de Jackie (…) et  Jean Lagache », ce dernier ayant réussi à devenir un familier du couple présidentiel. On est loin aussi de celle où Paris Match faisait les modes et les promotions : « Celle de B.B., celle des impressionnistes et celle de Picasso », indique Guillaume Hanoteau, qui ajoute: « Salvador Dali doit aussi beaucoup à la rue Pierre Charron et en a toujours convenu ».

Pour fêter 60e son anniversaire Paris Match à peint son logo sur la banquise. Difficile de trouver image plus belle, plus glaciale et plus vide. Difficile aussi de trouver plus fort contraste avec l’étonnante photo de la page précédente. On y voit l’équipe des débuts de Paris Match s’entasser joyeusement sur une jeep. Leur appétit semble immense. Le « choc des photos » peut faire mal.

Lien utile: Lire le compte-rendu du colloque des 29 et 30 avril 2009 “1949-2009 : Presse et photographie. Les mutations du photojournalisme et des magazines illustrés”, sur le blog des étudiants du Lhivic. Ce colloque était organisé à l’occasion des 60 ans de Paris Match.

Bibliographie

• Philippe Boegner, « Oui patron… », Julliard, Paris, 1976, 316 pages
• Jean Durieux & Robert Mahé, Les Dossiers secrets de Paris Match, Robert Laffont, Paris, 496 pages, 22 euros
• Alain Genestar, Expulsion, Grasset, Paris, 2008, 146 pages, 10 euros
• Benoît Gysembergh, Paris Match 60 ans, 60 photographes, Éd. La Martinière, Paris, 2009, 285 pages, 28 euros
• Guillaume Hanoteau, La fabuleuse aventure de Paris Match, Plon, Paris, 1976, 200 pages
• Hervé Mille, Cinquante ans de presse parisienne ou La nuit du Strand, La Table Ronde, Paris, 1992, 280 pages
• Gérald de Roquemaurel, La Presse dans le sang, Robert Laffont, Paris, 2007, 184 pages, 18 euros

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