Il est des posts que l’on aimerait ne pas écrire. Celui-ci en fait partie, et j’ai longtemps hésité. Mais voici. Yves Agnès fut chef de rédaction à Ouest France, puis rédacteur en chef au Monde et directeur général du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). Il est l’auteur du réputé Manuel de journalisme réalisé avec le soutien de l’ESJ-Lille, qui en est aujourd’hui à sa troisième édition (La Découverte, 2015) et enfin il préside, depuis sa création en 2006, l’Association pour la Préfiguration d’un Conseil de presse (APCP). Bref, Yves Agnès est une autorité dans le monde du journalisme, en particulier sur les questions d’éthique et de déontologie.
Mais peut-être faut-il dire « était ». Car voilà, Yves Agnès s’est mis en tête d’écrire un Abcédaire sur le thème du « politiquement correct » où il déverse une bile qui semble-t-il s’accumulait depuis des lustres. Dans le viseur : «Les élites bien-pensantes et surtout à gauche, [qui ont] petit à petit recréé une sorte de code de conduite qui s’impose non pas aux actes, mais aux propos, enserrant le débat d’idées dans des manières d’interdits moraux.»
Le manuscrit est achevé et il circule par mail car, «Les éditeurs ne se bousculent pas : la période n’est pas à la prise de risques». S’il ne s’agissait que de prendre des risques! Mais en lisant ce court texte (67 pages) on se dit que, comme l’on a perdu Robert Ménard, on a perdu Yves Agnès.
Ça commence fort. Qu’on en juge par ces quelques lignes tirées de la première page:
Aux Etats-Unis, d’où est venu le «politically correct», il fallait nommer différemment les minorités. «Negro» devint «Black», puis «afro-américain». En France, il n’était plus seyant de dire «noir» (qui s’était substitué à «nègre»), ou «jaune», ni de parler de race ou de couleur de peau… Curieusement aussi, le mot «israélite», c’est-à-dire de confession juive, serait devenu offensant et réservé aux antisémites d’extrême-droite…
Mais entrons dans le cœur de ce Catéchisme du savoir vivre et penser [c’est le sous-titre] par l’entrée « Autorité« . Après s’être félicité que la « fessée » reste autorisée en France (1), grâce à une décision du Conseil Constitutionnel [«Les Gaulois résistent encore…», s’enthousiasme-t-il] notre auteur s’emballe sur la démission des parents face à l’enfant-roi : «L’homme, l’ancien pater familias, abdique le rôle ancestral de celui qui indique la loi et assume l’autorité, la femme règne à nouveau sur la cellule familiale. Du moins pour les familles françaises de souche ou celles dont l’immigration « européenne » a rimé avec intégration, assimilation.»
Car Yves Agnès distingue soigneusement ce premier type de familles (« européennes », « françaises de souche ») de celles issues de la «nouvelle émigration» africaine. Et là, c’est l’apocalypse. Dans ces familles l’enfant est «déstructuré», «violent», «car laissé à lui-même et à sa classe d’âge. Comme l’espèce humaine l’est depuis des temps immémoriaux. Violences entre bandes. Violences, racket et agressivité en milieu scolaire.» Les filles? «Trop souvent des objets sexuels dans des tournantes (…) quand elle ne brutalisent pas d’autres filles»
Tout est de la même eau. Je pourrais ainsi prendre chaque entrée (Corse, Genre, Quartier…) de cet étrange dictionnaire. Un dernier exemple avec un extrait du tableau qui compose l’entrée Bien où «Le “bien” est politiquement correct. Le “mal” très incorrect.»
- Bien : cantine scolaire en libre service. Mal : cantine scolaire avec plat unique.
- Bien : toutes les cultures se valent. Mal : les vraies valeurs sont universelles. (…)
- Bien : femmes (parfaites). Mal : hommes (machos).
- Bien : embaucher encore des fonctionnaires. Mal : supprimer des postes de fonctionnaires.
- Bien : ignorer le Front national. Mal : le FN est un parti politique comme les autres.
- Bien : LGBT. Mal : hétérosexuel. (…)
- Bien : la polygamie, tradition du pays d’origine. Mal : siffler une belle femme dans la rue…
Inutile d’aller plus loin.
Et dire qu’Yves Agnès dans son Manuel cite Jules Vallès : «Il faut pourtant bien que la société ait son masque arraché et que sa face soit mise à nu». Jules, réveille-toi, ils sont devenus fous…