… Tous ceux qui vivaient encore, respiraient, ou gémissaient, étaient envoyés aux médecins qui les attendaient. Toute la nuit, ils opérèrent, sondant avant d’extraire une balle, amputant, énucléant. L’anesthésique luttait contre la douleur, imbibait les masques, instillait le sommeil. (…)
Neuf heures sonnaient quand on en eut fini. Des ruines, les équipes dégageaient les derniers corps. Et dans les lits d’hôpital —paquets de pansements blancs, yeux fixes, incrédules, infiniment las— les petites victimes, les objectifs de guerre, des enfants de sept ans.
Le 15 septembre 1967, le professeur principal de la classe de 5e A 1 du lycée Rodin, monsieur L., entrait dans la salle de cours avec retard et posait son vieux cartable à soufflet sur le bureau, devant la classe déjà assise, médusée. Il était petit, avait un gros nez tout piqué comme s’il sortait d’un nid d’abeilles furieuses, ne retira pas son vilain pardessus gris, écrivit son nom sur le tableau, et la salle n’osa pas rire malgrè ce nom de spaghetti en boîte; il sortit du cartable un étui à violon et demanda à un élève, parmi la classe qu’il venait d’inspecter d’un regard circulaire —et il avait chois celui qui semblait le plus pataud, le plus immense, le plus embarassé—, de monter sur l’estrade.
Il lui avait dit, face à lui, minuscule aux pieds de géant : « Allez, vas-y, frappe-moi. »
« Elle est debout mais pantelante. (…) Les premières maisons nous la cachent. Nous arrivons au parvis. Ce n’est plus elle, ce n’est que son apparence. C’est un soldat que l’on aurait jugé de loin sur sa silouhette toujours haute mais qui, une fois approché, ouvrant sa capote, vous montrerait sa capote, vous montrerait sa poitrine déchirée. Les pierres se détachent d’elle. Une maladie la désagrège. Une horrible main la écorchée vive ».
Par la suite, la vie d’Albert Londres ne sera qu’une suite de reportages, sur pratiquement ce que l’on appellerait aujourd’hui « les zones de conflit ». La lecture de ces textes, montre à quel point Albert Londres cherchait à impliquer le lecteur, à en faire en quelque sorte un témoin direct. Une forme que reprendra pour une part Hervé Guibert, qui donne une impression de dialogue entre l’auteur et le lecteur. On est loin de l’écriture distanciée de John Steinbeck. Exemple, avec ce reportage d’A. Londres au Japon, écrit en 1922 :
« Pour comprendre le Japon d’aujourd’hui, pour redescendre sur la terre, cette terre avec qui nous devons tant compter, c’est à Osaka qu’il faut aller. Ce n’est pas une villégiature pour lune de miel. Il faut rentrer vos appareils photographiques et vos airs inspirés. Et si vous aimez l’atmosphère pure, vous serez mal à votre aise. À Osaka, les temples sont des usines et leurs piliers des cheminées. »
• Il était une fois une guerre, John Steinbeck, éditions La Table ronde, coll. La petite vermillon, Paris, 2008, 263 pages, 8,50 euros.
• Câbles & reportages, Albert Londres, Arléa, Paris, 2007, 943 pages, 30 euros.