Ulrik Haagerup est un optimiste, et il tient sans doute cet optimisme de son expérience à la tête de Nordjyske. Il est vrai que les résultats qu’il a présenté à la Conférence européenne INMA Outlook 2009, qui s’est tenue à Vienne du 1er au 3 octobre 2008 (lire ici les conclusions) détonnent dans le paysage sinistré de la presse actuelle.
Entre 2002 et 2006, le chiffre d’affaires du journal a pratiquement doublé, passant de 54 millions de dollars à 100 millions. En 2000, le papier représentait 62% de ce chiffre d’affaires, et en 2007, seulement 46%. Mais tout cela a exigé une transformation profonde de la rédaction (ou des rédactions). Désormais à Nordjyske, il n’existe plus de distinction entre « reporter papier » et « reporter radio ». Tous deux font le même travail, ils sont reporters pour tous les médias.
Propos recueillis (en anglais) par Arthur Karda, reporter multimédia pour Media Regionalne, branche polonaise du britannique Mecom Group, dans le cadre de l’INMA Outlook 2009
La difficile convergence dans les salles de rédaction européennes
Si la convergence est devenue réalité à Nordjyske, il n’en va pas de même partout. Pour l’instant en France, peu de rédaction ont franchi le pas de la rédaction multimédia, comme l’a fait cet été Le Parisien, ou comme vient de l’annoncer Les Échos.
La conférence sur la « Convergence dans les salles de rédaction » organisée à Vienne le 14 novembre 2008, par la MedienHaus, un centre de recherche et de formation continue sur le journalisme. (lire aussi sur ce blog: Allemagne : Les rédactions à l’heure du cross-média) fut l’occasion de faire un point sur les pratiques dans trois pays européens : l’Autriche, l’Allemagne et l’Espagne.
À cette occasion une étude réalisée conjointement par des chercheurs de l’université allemande de Darmstadt et de l’université espagnole Miguel Hernandez Elche (Alicante), sur la « Convergence dans les salles de rédaction« , a été présentée. Un événement tant les études traitant de se sujet sont rares.
En Autriche, les chercheurs ont étudié:
– Österreich un quotidien lancé en 2006 (par Austria Presse Agentur – Gruppe, qui possède aussi des participations dans deux importants quotidiens du pays le national Kurier et le régional Kleine Zeitung), qui dès son lancement mettra l’accent sur le multimédia.
– Der Standard qui fut pionnier dans l’édition web, puisqu’il lança son site en 1995, celui-ci étant d’ailleurs rentable, aujourd’hui.
En Espagne, ce sont deux modèles très différents qui ont été analysés:
– La Verdad Multimedia, qui appartient au groupe Vocento (lequel édite le quotidien conservateur ABC). Le groupe a démarré très tôt (en 2001) une stratégie multimédia régionale, qui se traduit aujourd’hui par l’existence de 12 groupes multimédia régionaux.
– Unidad Editorial, propriété de l’italien Rizzoli (éditeur du Corriere della Serra), et qui est le fruit du regroupement en mai 2007 de deux groupes espagnols importants, Recoletos et El Mundo. Dans ce groupe tout frais, le processus de convergence est en cours.
En Allemagne, les chercheurs se sont intéressés:
– au groupe Welt/Morgenpost, à Berlin, (propriété du groupe Axel Springer) dont la convergence est déjà réellement en œuvre, le « challenge étant, écrivent les auteurs, ici non seulement de combiner papier et web, mais aussi d’intégrer [les rédactions] les différents titres papiers », trois quotidiens, Die Welt, Welt Kompakt et MorgenPost, ainsi qu’un journal du dimanche, Welt am Sonntag.
– Hessische/Niedersäshsische Allgemeine (HNA), un journal régional où la convergence est déjà une réalité, la rédaction produisant déjà simultanément pour le papier et le web.
Au terme de leur étude, les chercheurs recensent trois modèles différents :
• L’intégration complète, où la production de la rédaction est multi-plateforme, contrôlé par une rédaction en chef centrale, qui gère les flux. Dans ce cas, c’est le contenu qui prime, celui-ci étant « distribué » ensuite selon les médias. Cela signifie que tous les journalistes sont formés au multimédia. Ce sont les rédactions d’El Mundo (900 journalistes, qui travaillent pour El Mundo, Marca et Expansion) et de Die Welt/Morgenpost qui sont les plus proches de ce modèle, en tout cas « les préconditions sont mises en place ».
• Le Cross média, où les journalistes travaillent dans différentes rédactions pour des médias distincts, mais où il existe une forte interconnection grâce à des coordinateurs ou des routines. Österreich et La Verdad sont les plus proches de ce modèle, selon les auteurs. Le cas d’Österreich est particulièrement intéressant. Dans ce journal nouveau-né, les journalistes restent spécialisés papier, web ou web-TV (les journalistes ne sont pas multimédia) et les rédactions papier et web travaillent de manière séparée, même si elles sont réunies dans une même salle.
• Les plateformes séparées, où chacun travaille de son côté sans volonté de coordination, si ce n’est quelques initiatives individuelles. Der Standard suit ce modèle et cela ne lui réussit pas si mal, puisque son site est le site autrichien de presse le plus fréquenté.
En fait, constatent les auteurs, l’important —pour réussir la convergence— ne tient pas tant à une organisation précise de la ou des rédactions, mais à une volonté managériale : « Sans décisions stratégiques et des actions top-down, le processus de convergence commencera difficilement, ou se développera très lentement ». Autre condition à une convergence réussie, la nécessité de réaliser une analyse « structurée et détaillée », dès le début du processus faute de quoi, « il sera impossible d’établir une nouvelle coopération et un processus de convergence ».
• Ce post est basé sur l’abstract de Newsroom convergence, publié sur le site de Medienhaus Wien. Les auteurs de l’étude sont José Garcia Aviles, Dr. Andy Kaltenbrunner, Dr. Daniela Kraus, Dr. Klaus Meier et Miguel Carvajal.