« Cover what you do the best. Link to the rest« . « Couvrez ce que vous faites le mieux et pour le reste faite des liens ». Tel est l’actuel moto d’un des gourous du web, Jeff Jarvis. Mais est-ce si simple ?
Jeff Jarvis sur son blog buzzmachine, tient le raisonnement suivant : les ressources (en personnel, en encombrement, etc.) des sites ne sont pas extensibles à l’infini. Ils devraient donc renoncer à l’exhaustivité, rémanence de la presse quotidienne des XIXe et XXe siècles, et se concentrer sur ce qui fait leur « unique valeur ». Bref, au lieu de se demander « Que devons-nous faire? », ils devraient se demander « Que faisons-nous le mieux ? », et pour le reste offrir à leur visiteur des liens.
Pourquoi accorder une telle couverture à l’histoire d’une ancienne modèle de Play Boy?
Les exemples que fournit Jeff Jarvis pour étayer sa thèse sont pertinents. Par exemple, argumente-t-il, pourquoi diable le New York Times consacre-t-il autant de place, de reportages, etc. à raconter l’histoire d’Anna Nicole, une ancienne modèle de Play Boy qui avait épousé un vieillard milliardaire pour (disent les mauvaises langues) toucher son héritage. Le travail des journalistes du NYT n’ajoute rien de vraiment nouveau à l’histoire. Du gâchis.
Son analyse est d’autant plus digne d’intérêt que l’économie du web ne repose pas sur le contenu mais sur les liens. La bonne santé de Google et la déshérence dans laquelle se trouvent tous les fournisseurs de contenu (musique, informations…) en sont autant d’illustrations.
L’avenir des sites d’information se trouverait dans les niches
Mais à suivre son raisonnement, chaque site d’information deviendrait un site de niche, se contentant d’offrir, pour les domaines non couverts, des liens avec des sites « plus performants », y compris concurrents. L’ouverture se ferait aussi avec des net-acteurs susceptibles d’apporter du contenu: le site ne peut pas couvrir l’assemblée des parents d’élèves, mais il est possible de faire un lien avec le blog d’un parent, etc.
Bref, il propose une nouvelle architecture de l’information. Faut-il pour autant le suivre?
De la théorie à la pratique, il y a un pas
Dans la réflexion intellectuelle certainement, car cela revient à proposer une forme de rationalisation de la production d’information. Mais de la théorie à la pratique, il y a un pas.
Des événements comme les Jeux Olympiques, les Conventions républicaine et démocrate, etc. sont couverts par des milliers de journalistes (et de bloggers!). Tous vont raconter les mêmes histoires : la victoire extraordinaire (dans tous les sens du terme) d’Usain Bolt aux 100 mètres, le discours du « pittbull à rouge à lèvres », Sarah Palin, etc. Nous sommes ici, selon Jeff Jarvis, à un maximum de gâchis.
Pourquoi cette surenchère de moyens, cette concurrence dispendieuse alors que quelques liens suffiraient pour la plupart des médias (des sites de médias)?
La réponse tient en deux mots :
• la personnalité (ou l’image ou la marque); un média se construit sur une image. Cette image peut tenir —c’est le cas des médias généralistes— sur le seul fait que le traitement de l’information qu’il offre est global. Renoncer à cela, c’est abîmer son image, ou a minima implique qu’il faut la reconstruire…
• la concurrence. Si un média n’est pas présent sur un événement, il l’abandonne à ses concurrents, et ce sera une perte sèche de trafic. Pour reprendre l’exemple de Jeff Jarvis : si je tape dans Google, la requête « Anna Nicole », le moteur de recherche va m’aiguiller directement sur le(s) site(s) qui traite(nt) le sujet. En aucun cas, il ne me fera pas passer d’abord par un site qui n’a que des liens sur ce sujet. Donc, renoncer à couvrir des événements, c’est renoncer à du trafic. Qui est prêt à l’accepter?
• Sur le même sujet, il faut lire le billet de Scott Karp sur Publishing 2.0, dont le titre est explicite : « Comment les Unes des quotidiens ont perdu de leur influence et comment ils peuvent en retrouver grâce aux liens« . (anglais)