[the] media trend

France 24 : l'information à pile ou face… book

« Véronique Courjault qui a avoué 3 infanticides échappera-t-elle à la prison à vie à l’issue de son procès ? » C’est l’étrange question posée par France 24 dans son jeu de pari sur Facebook. Les journalistes de la rédaction, ainsi que ceux de RFI ont vigoureusement protesté. Ce qui est en jeu, au-delà de l’anecdote elle-même, c’est la conception de l’information et du rapport aux internautes.

L’histoire est simple. France 24 a créé sur Facebook une page spéciale (en fait il s’agit d’une application) sur laquelle les internautes peuvent parier. Les questions se veulent anodines, « Qui va gagner le grand prix de Formule 1 de… », « qui remportera Pékin-Express… ». Mais parfois elles ne le sont pas. On trouve par exemple des « paris » sur les résultats de l’élection présidentielle iranienne,  sur la validation par le Conseil constitutionnel de la loi Hadopi ou encore sur la réforme de l’Enseignement supérieur.

« S’informer en s’amusant »

L’idée générale comme il est précisé sur le blog du studio multimédia de France 24 est de « s’informer en s’amusant. » Pourquoi pas, et l’application est, sur ce plan, très sérieuse: elle renvoie systématiquement à un article ressource, et un fil d’actualité accompagne le jeu. Et un certain succès est au rendez-vous. Selon France 24, cette application lancée en décembre 2008, aurait 500.000 utilisateurs réguliers.

Et donc arrive l’affaire Courjault. La question posée est est non seulement odieuse, mais elle présuppose la réponse, un comble pour un procès en cours. Cette question la voici:  « Véronique Courjault qui a avoué 3 infanticides échappera-t-elle à la prison à vie à l’issue de son procès ? »(voir le document ci-dessous, que melty.fr a sauvegardé, France 24 ayant retiré la page de Facebook).

La question devait heurter les journalistes des deux stations [lire ici le communiqué du SNJ], d’autant que la responsabilité de France 24 est clairement engagée. Sur le document on distingue très clairement le logo de la chaîne (à droite), ce qui signifie que c’est cette dernière qui a proposé le pari.

La direction de France 24 a construit le piège qui s’est refermé sur elle

Marie Vallat, délégué syndicale SNJ de France 24 révèle  [sur Le Post] que cette application est gérée par le service marketing et que la rédaction n’est pas consultée sur le contenu des questions.

Sans revenir sur d’éventuels dysfonctionnements ponctuels, il faut reconnaître que la direction de France 24 a soigneusement construit le piège qui vient de se refermer sur elle, et qui décrédibilise le travail des journalistes de la chaîne.

1 – Elle a mélangé information et distraction. L’infotainment est un jeu dangereux, car il brouille les repères. Quelle est cette étrange idée nous fait « parier » sur le succès ou l’échec de tel ou tel candidat à l’élection présidentielle iranienne, comme si ces élections étaient un « jeu », et France24 un bookmaker? On peut dire cela autrement: s’informer n’est pas toujours amusant.

2- En admettant le principe de l’infotainment, encore faudrait-il que la rédaction soit partie prenante dans la définition des jeux/paris, car jusqu’à preuve du contraire ce sont les journalistes qui la compose qui ont la responsabilité de traiter l’information. Ils sont formés et collectivement entraînés à le faire. Ce n’est ni la responsabilité ni la formation du personnel du service marketing.

3- L’absence de réflexion sur les réseaux sociaux et le rapport à l’information que cela induit. La direction de France 24 a préféré privilégier une application de pari, plutôt que d’animer le groupe France 24. Le 11 juin 2009, les deux seuls sujets de discussion étaient « France 24 sur les bouquets ADSL » et « France and the Arabs ». En clair, aucun effort n’est fait pour « animer » la communauté de la chaîne, ne serait-ce que faisant « remonter » les dernières publications, comme le fait si bien le New York Times. Un effort (peu coûteux) mais payant: le NYT a plus de 450.000 fans, le groupe France 24 un peu plus de 600 membres.

Ce choix traduit une conception biaisée et réductrice des réseaux sociaux et en particulier de  Facebook, vu comme une sorte de gigantesque bac à sable. Il n’est pas certain que sur le long terme ce choix soit le bon, au contraire.

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