Comment expliquer cette désaffection des journalistes vis-à-vis de ces élections? [en prenant comme hypothèse, que les élections de 2009 souffrent du même désintérêt que celles de 2006] Plusieurs facteurs peuvent jouer :
1- la désyndicalisation
Elle touche les journalistes comme les autres professions. Aujourd’hui, selon les sources [syndicales], le taux de syndicalisation serait compris dans une fourchette comprise entre 10% [Dominique Candille, secrétaire générale du SNJ-CGT lors d’un forum sur le site du Nouvel Obs] et 12% [un représentant du SNJ et un autre de FO, lors d’un débat public à Grenoble]. Cela reste encore un peu supérieur au taux moyen de syndiqués en France, qui tourne autour de 8% des salariés. Cet état de fait ne peut que peser sur le taux de participation, même si nous n’en sommes pas encore à l’effondrement du taux de participation qui a marqué les élections prud’homales de 2008: 75%.
2 – des listes qui représentent mal les enjeux contemporains
Les 6 organisations syndicales représentatives —SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT, FO-Journalistes, CFE-CGC et SJ-CFTC ont toutes fait l’effort de construire des listes respectant à peu près la parité homme-femme, le SNJ-CGT allant au bout de cette logique. Il présente à la Commission de première instance une liste « chabada-bada », c’est-à-dire une liste ayant une stricte parité et alternance à la fois dans le collège titulaires et dans le collège suppléants.
Tout cela serait presque parfait [presque, car sans doute fâchée avec les chiffres, la CFTC présente une liste de 9 candidats pour le collège suppléants, alors que seuls 8 sièges sont à pourvoir!], s’il n’y avait les correspondants régionaux. Ici, lorsque l’on examine à la loupe les candidatures, il n’est plus question de parité. Les 6 syndicats présentent un total de 202 candidats, [sachant que plusieurs de ces syndicats présentent des listes incomplètes, dans les 19 régions]. Sur ce total, on tombe à un taux de 27% de candidatures féminines [55 candidatures].
Les pigistes sont sous-représentés dans les listes
La question de la « diversité » mérite aussi d’être regardée de près. J’ai relevé un représentant de la « diversité » dans les listes de candidats « titulaires » à la Commission de première instance de FO, de la CFDT et de la CFTC et un dans la liste « suppléants » à cette même Commission de la CGT et de la CFTC. Pour ce qui est des correspondants régionaux, il est préférable d’oublier…
Reste la représentation des pigistes, qui « pèsent » actuellement environ 20% des journalistes professionnels. Calculés sur le nombre de candidats à la Commission de première instance [titulaires et suppléants], le taux de pigistes n’est que de 7%, et pour les correspondants de 5%. Last but not least, pour la Commission supérieure, je n’ai relevé qu’un seul candidat, et ce dans les rangs de la CFE-CGC.
Ces chiffres et ces taux sont certes à prendre avec précaution, car il est toujours difficile de trouver des candidats à ce genre d’élections et la faiblesse relative des syndicats rend encore plus délicate la recherche de candidats. On en voudra pour preuve le seul fait que plusieurs syndicats ne soient pas parvenus à boucler leur liste de candidats « correspondants régionaux ».
Cela ne signifie pas non plus que si la parité était parfaitement respectée, la diversité mieux représentée et les pigistes plus nombreux, le pourcentage de votants augmenterait mécaniquement, mais cela permettrait —au minimum— d’instaurer une plus étroite proximité entre les candidats et leurs électeurs, et rendrait plus crédible le discours des syndicats sur les pigistes et la diversité notamment.
3 – la Ccijp, une institution avec laquelle les journalistes ont très rarement rapport
Un journaliste n’a à faire avec la Ccijp qu’une fois par an, lors du renouvellement de sa carte. Ici, deux principaux cas de figure sont possibles:
• les journalistes « en pied », salariés d’une entreprise de presse bénéficiant d’un numéro de commission paritaire. Ceux-ci ne se préoccupent de rien, en général c’est l’administration de l’entreprise qui s’occupe de tout. Il leur suffit de signer un chèque de 20 euros et des poussières. Le renouvellement est pratiquement automatique. Dans de telles conditions, il faudrait être un héros pour s’intéresser au fonctionnement de cette institution.
• les journalistes pigistes. Pour eux, la Commission devient une administration procédurière dont les décisions tombent comme des oukazes : le dossier sera-t-il bien rempli? ai-je gagné assez [et suffisamment dans des publications ayant un numéro de commission paritaire]? Si la réponse est négative, quels seront mes recours? Cela peut paraître anecdotique à un journaliste « en pied », mais pour un pigiste, il en va souvent de sa survie. S’il voit sa demande de carte refusée, tout devient pour lui plus difficile qu’il s’agisse de se faire payer en « salarié » ou de travailler avec les institutions et les officiels que ce soit en France et à l’étranger, et ce qu’il soit débutant ou journaliste confirmé.
4 – une institution dont le fonctionnement est mal connu
Le fonctionnement de la Ccijp est relativement simple et parfaitement expliqué sur le site de la commission [ici]: les dossiers sont traités s’ils ne présentent pas de difficultés par 2 membres de la Commission de première instance [un journaliste et un « employeur »]. S’il y a soucis, le dossier passe en « commission pleinière », et il est toujours possible en cas de refus de faire appel auprès de la Commission supérieure. Mais comme tous les schémas théoriques, s’il n’y a pas d’anicroche tout est est simple, mais il en va autrement lorsque les demandes sont « limites ».
Car, la Ccijp a une fonction non dite mais essentielle, qui est de définir les contours de cette « profession du flou » qu’est le journalisme, comme l’a baptisée le sociologue Denis Ruellan (1). Pour cela, les membres de la Commission peuvent s’appuyer sur un certain nombre de textes et en particulier l’article L.761-2 du Code du Travail [Correction en date du 8 mai 2009 : suite à la « recodification », il s’agit en fait de l’article L. 711 3 du Code du Travail]. Il stipule que le » journaliste professionnel » est celui qui a « pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».
Des textes réglementaires et des arrêts du Conseil d’État pour « limiter » le « flou »
La définition est courte, car on remarquera qu’il n’est nulle part question de niveau d’études, d’un niveau de qualification ou de compétences minima, sans même parler d’exigences éthiques ou déontologiques, si ce n’est que la loi exclut « les agents de publicité » de la profession de journaliste.
Il faut donc « border » la profession d’une autre manière, par des textes réglementaires notamment. Un arrêté de 1964 exclut donc les attachés de presse et autres communicants du bénéfice de la carte, ce qui explique que les journalistes (?) travaillant pour des journaux d’entreprise ne puissent bénéficier de la carte. Le Conseil d’État a ajouté son grain de sel en 1986 en stipulant que « le statut de fonctionnaire ou d’agent public contractuel est exclusif du bénéfice de tout autre statut professionnel », fermant ainsi la porte à tous les journalistes (?) travaillant pour les collectivités territoriales.
Comment différencier le professionnel de l’amateur?
Mais la grande affaire de la Commission est de définir qui est « professionnel » et qui est « amateur ». Une distinction qui remonte à la naissance de la Ccijp comme le raconte Christian Delporte: « Des controverses [nous sommes en 1936], parfois aiguës, portent sur le cas de catégories que la loi assimile aux journalistes, sténographes et photographes, ou qu’elle exclut, cinéastes et radio-reporters. »(2) Dans ce dernier cas, on assistera à une alliance »objective » entre directeurs de journaux et journalistes « papier » qui ne veulent pas voire reconnaître les radio-reporters comme des journalistes, car « l’inquiétude naît, désormais, de la capacité du nouveau média [la radio] à annoncer les nouvelles avant les journaux ».
Le même cas de figure se renouvellera à l’apparition de chaque nouveau média. Ce fut le cas lors de l’explosion des radios libres dans les années 1980, puis lors de la naissance d’Internet. Aujourd’hui, c’est le tour des blogueurs… C’est aussi en raison de cette distinction que les correspondants de la presse régionale ne peuvent prétendre à l’obtention de la carte, car leur activité « journalistique » est présumée être seconde, et donc ils sont automatiquement rangés dans la catégorie « amateurs ».
5 – les mystères du paritarisme
La Ccijp est un organisme paritaire où siègent à égalité représentants des employeurs et représentants des journalistes. Ce paritarisme est bien huilé. Par exemple, depuis ses débuts la présidence de la Commission de première instance est assurée en alternance entre représentants du collège « employeur » et représentants du collège « journaliste ». Mais cette façade trop lisse masque mal quelques lézardes :
• les intérêts des collèges « employeurs » et « journalistes » sont-ils réellement les mêmes? Ou dit autrement, les critères d’attribution, dont on a vu qu’ils sont essentiels car ils permettent de délimiter la profession, sont-ils strictement superposables? Les débats qui agitent la commission, sont parfois relayés par les syndicats mais ils mériteraient d’être portés sur la place publique par la commission elle-même, à travers son site par exemple.
• Les syndicats représentants les journalistes ont des analyses et portent des choix différents, tandis que les organisations représentants les entreprises ont des intérêts différents. Or, le fonctionnement de la commission donne l’impression d’une forme d’unanimisme, ou a minima d’un fort consensus entre ses membres. Cela correspond-il à la réalité? Là encore, une plus grande transparence serait la bienvenue.
• les syndicats de journalistes font campagne tous les 3 ans. De ce fait, leurs positions sont connues et peuvent être discutées et débattues. En revanche, du côté des employeurs rien de tel, la communication sur cette question est opaque. Cela donne l’impression qu’il existe une sorte de trou noir.
Une situation d’autant plus dommageable que cela peut contribuer à décrédibiliser les élections: ne pas savoir est le pouvoir réel des représentants que l’on élit n’est guère motivant.
Notes
(1) Denis Ruellan, Le Journalisme ou le professionnalisme du flou, PUG, Grenoble, 2007, 232 pages, 21 euros.
(2) Christian Delporte, Les journalistes en France, 1880-1950, Naissance et construction d’une profession, Seuil, Paris, 1999, 450 pages.