- Chasing Bonnie & Clyde, le projet à soutenir
- L’information en long format ou en puzzle ?
- Les journalistes doivent apprendre le code
- Autoportrait du journaliste belge en 2013
1. Chasing Bonnie & Clyde, le projet à soutenir
Le point de départ t est le mythique couple Bonnie Parker et Clyde Barrow, spécialisé dans l’attaque à main armée de banques dans les années 1930. Le projet va donc revisiter la mémoire de ces deux personnages, mais aussi s’intéresser au Texas moderne, et explorer la nouvelle politique de cet État vis-à-vis des criminels. Il n’est pas question de supprimer la peine de mort, mais de trouver des alternatives à la prison.
Les deux journalistes derrière le projet ne sont pas des novices, puisque ce sont eux qui avaient produit et réalisé, il y a quelques années, Brèves de Trottoir ainsi qu’un web-documentaire, La Nuit oubliée, diffusé notamment par lemonde.fr, consacré au massacre perpétré par la police parisienne dans la nuit du 17 octobre 1961, lors d’une manifestation organisée par le FLN.
Comme tous les projets ambitieux, Chasing Bonnie & Clyde, nécessite un financement important. Ses deux auteurs, qui ont déjà obtenu l’obtention d’une bourse du CNC, se sont tournés vers le crowdfunding. Ils utilisent la plateforme Kisskissbankbank, pour recueillir 15.000 euros, qui n’est qu’une partie du montant total de l’investissement [50.000 euros]. Mais aujourd’hui, le temps tourne, et pour l’instant la somme visée n’est toujours pas atteinte. l reste une grosse semaine pour le faire. Donc, c’est maintenant ou jamais qu’il faut « courir après Bonnie et Clyde« .
et en bonus le nouveau trailer
Chasing Bonnie & Clyde – Trailer – Documentary par chasingbc
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2. L’information en long format ou en puzzle ?
Le journalisme n’a sans doute jamais été aussi innovant. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder trois « sujets » qui viennent d’être mis en ligne, le premier par le site de la chaîne publique américaine PBS, le second par le New York Times et le troisième par L’Équipe. Tous trois obéissent à la même logique multimédia, en ce sens qu’ils utilisent la palette des outils aujourd’hui disponibles, vidéos, photos, infographie, etc. et sont sur le plan formel et ergonomique tout aussi réfléchi. Mais chacune des équipes a opté pour des choix narratifs radicalement différents, ce qui illustre le potentiel de créativité qui et est désormais offert:
- PBS NewsHour a choisi une narration en snipets [miettes] que l’on pourrait aussi appeler l’information puzzle, et qui me semble particulièrement innovant;
- le New York Times a retenu un mode de narration long format, immersif, que l’on pourrait presque considérer comme classique aujourd’hui;
- L’Équipe dans sa rubrique Explore propose une forme de narration également immersive, mais avec une forte dimension interactive et de belles créations graphiques.
Avec New Adventures for Olders Workers, PBS NewHour explore les conséquences de la faillite du système de retraite américain. Aujourd’hui, d’après les auteurs de l’enquête, la moitié des Américains ont une retraite insuffisante à 65 ans, ce qui les oblige à continuer de travailler.
Pour traiter ce sujet difficile et complexe, PBS a choisi de le traiter comme un puzzle, l’information étant émiettée sous forme de snipets [miettes ou petits morceaux] regroupés en cinq grands chapitres. Pour donner un exemple, le texte le plus long est l’éditorial du journalisme de PBS, Paul Solman [68 ans, évidemment!], qui fait 1.600 signes, soit un gros feuillet. Certaines vidéos sont construites sur un modèle de double consultation: d’abord un court lancement qui est une sorte de teasing, puis, si l’on est intéressé poursuivre la lecture de la vidéo.
Ce choix délibéré rend l’information d’autant plus accessible qu’elle est très visuelle, grâce à un graphisme d’une élégante simplicité, une belle iconographie et des graphiques dynamiques [ils se « matérialisent » au fur et à mesure que l’internaute les fait apparaître dans sa fenêtre].
Dernier remarque majeure. L’une des clés de ce document-puzzle, qui en fait la force et la cohérence pour un internaute et le fait qu’il est impliquant. Il est en effet demandé en permanence à l’internaute de remplir de courts questionnaires, dont les résultats s’afficheront immédiatement et qui lui permettront ainsi de situer dans le débat.
Le New York Times avec Snow Fall a inventé un nouveau mode de narration « immersif », que l’on peut résumer comme étant un récit long format multimédia, étant entendu que les différents médias ne sont pas simplement juxtaposés, mais profondément imbriqués et intégrés. Signe du succès rencontré, un certain nombre de choix retenus pour Snow Fall (images plein écran, déclenchement des infographies lié au scroll, etc.) se sont depuis imposés depuis comme des standards. Cela n’a pas empêché le New York Times de continuer à avancer sur la voie qu’il a ouverte avec des succès mitigés comme The Jockey, le portrait de Russell Baze, célèbre jockey américain, qui souffrait sans doute d’être long.
Aujourd’hui, c’est un sujet autrement réussi A Game of Shark and Minnow qui est proposé. Cela tient sans aucun doute au sujet, qui raconte la vie d’une équipe de huit soldats philippins stationnée sur un vieux bateau rouillé ancré au bord d’un rocher submergé, Ayungin. Leur travail consiste à surveiller les déplacements des navires chinois. Car Ayungin est situé dans l’archipel des îles Spratly, dont la possession est revendiquée par la Chine et les Philippines, mais aussi par Taiwan, le Vietnam, et pour partie par la Malaisie et Brunei. Irrésistiblement, l’histoire fait penser au Désert des Tartares de Dino Buzzati, où le héros passe sa vie à attendre des ennemis qui ne viennent pas.
Par rapport à New Adventures for Olders Workers, on est dans une forme de journalisme presque classique, si ce n’est que la dimension multimédia est parfaitement réussie, qu’il s’agisse de la cartographie, et de l’articulation entre l’iconographie (photos, vidéos) et le texte qui est d’un seul tenant.
Avec sa rubrique Explore, L’Équipe s’est lancée à son tour dans le journalisme immersif. Pour l’instant cinq sujets ont été mis en ligne, le dernier Mortelle Saint Valentin, étant consacré au sprinter sud-africain, Pistorius, qui dans la nuit du 14 février 2013 a tué sa compagne Reeva Steenkamp.
Sans revenir sur le récit extrêmement fouillé de Nicolas Herbelot, le journaliste qui a mené l’enquête, il faut saluer le travail sur l’iconographie, en particulier la qualité du graphisme et des dessins, le travail sur le son, et l’interactivité. L’ensemble est particulièrement réussi et d’ailleurs le succès est au rendez-vous puisque plus de 500.000 visiteurs ont déjà vu l’histoire selon l’éditeur.
Dernier point, produire de tels sujets n’est pas hors de prix, puisque L’Équipe s’efforce de contenir le coût de production de ses sujets Explore dans une enveloppe de 5.000 euros:
L’Equipe Explore> "Les coûts de production d'un #webdocumentaire ne dépasse pas 5.000€ par sujet" @Cazadieu @Corres_Presse
— David Sallinen (@davidsallinen) October 21, 2013
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3. Les journalistes doivent apprendre le code
Les journalistes doivent-ils apprendre à coder ? Il faut toujours se méfier des questions anodines. La réponse, selon l’actuelle doxa, se doit d’être affirmative, même si souvent on ignore ce que cela recouvre précisément. Une amorce de définition est donnée dans Le Journalisme numérique (1) par Alice Antheaume lorsqu’elle écrit :
au Guardian comme ailleurs, le futur du journalisme passe par la compréhension du code (…) Pour que journalistes et développeurs parviennent à se comprendre sans difficulté, les premiers sont de plus en plus amenés à apprendre des rudiments du code, ou du moins, à en discerner la logique.
Pourtant, une journaliste du site The Atlantic, Olga Khazan (2) va mettre les pieds dans le plat en publiant le 21 octobre, un article où elle répond « non » à la question et défend ainsi sa position :
Ce que j’ai retenu de mon expérience est ceci: si vous voulez être journaliste, l’apprentissage du code ne vous aidera pas. Il ne fera que perdre un temps que vous auriez dû utiliser à écrire des piges ou faire des stages (…) Il n’y a aucune raison pour laquelle je n’aurais pas été bonne en programmation: je suis bonne en maths, je peux être méthodique, et je prends plaisir à comprendre les choses. Mais le codage, pour moi c’est confus, ennuyeux et profondément frustrant; ce l’est plus que l’enquête la plus compliquée avec les plus réticentes des sources.
Il n’en fallait pas plus pour enflammer le débat outre-Atlantique. Débat est un mot un peu fort, car la discussion sera à sens unique et la réponse nette: oui, il faut apprendre à coder.
Le premier à ouvrir le feu sera Steve Buttry, journaliste et directeur de DigitalFirst Media, qui avancera six raisons pour lesquelles, le code doit être enseigné dans les écoles de journalisme, avec deux arguments majeurs:
- cela fait partie désormais de l’éducation de base d’un journaliste, car cela fait partie des connaissances indispensables [Steve Buttry parle de « literacy », littéralemnt « alphabétisation »]
- les journalistes qui connaissent le code sont plus « employables », car ils sont capables de dialoguer avec les développeurs pour réaliser de solides contenus numériques [tels ceux que j’évoque au chapitre 2 de cette semaine)
Robert Hernandez, enseignant à l’école de journalisme d’Annenberg, lui va s’employer à définir ce que l’on appelle « apprendre le code ». Il distingue d’un côté,
- la « culture numérique », c’est-à-dire la compréhension du fonctionnement d’Internet et des ordinateurs, et pour lui « ce n’est pas une option ».
- l’apprentissage du code, proprement dit. Pour lui, la connaissance du HTML et le CSS constituent les bases [« building blocks« ] mais cela ne saurait suffire, car le « code » ce sont d’autres langages : Javascript, Python, Ruby, etc.
Surtout, il introduit une intéressante distinction entre ce qu’il appelle le « journaliste moderne », qui connaît toutes les techniques, y compris donc le code, qui utilise tous les outils à sa disposition pour produire un journalisme de qualité et d’autre part le « journalisme numérique », ou « journaliste web » qui produit du « journalisme du web » et non pas seulement du « journalisme pour le web » [C’est ce dernier type de journalisme que s’attache à décrire Alice Antheaume dans son livre]. Différence majeure, avec le journaliste moderne, ce « journaliste numérique » sera capable, si nécessaire, de construire les outils dont il a besoin.
Mathew Ingram de PaidContent retiendra de tout ce « brouhaha », qu’aujourd’hui le journalisme ne se réduit pas à la seule écriture, mais que c’est un métier beaucoup plus englobant:
il est plus crucial que jamais, que les journalistes soient multi-tâches.
Fermer le ban? Pas tout à fait, car Olga Khazan, piquée au vif par la polémique, va revenir sur le sujet avec un article, titré Ce qu’un reporter devrait apprendre dans une école de journalisme. Pour elle, maintient-elle, le code n’est pas une priorité, [elle cite un confrère qui se désole des centaines de journalistes qui ont passé des heures à apprendre Flash, une technologie aujourd’hui dépassée], elle préfère citer comme expertise indispensable:
- la connaissance des statistiques
- le traitement des données et en particulier leur extraction. Cela peut se faire avec des outils, comme import.io ou Google Scraper [une extension de Chrome], qui ne nécessite pas de connaissance en code. Mais pour aller plus loin, estime-t-elle, il faut utiliser des langages comme Python ou R.
- savoir si telle ou telle étude est intéressante ou non, utilisable ou non.
- savoir pitcher ses sujets
- une bonne culture générale, en particulier d’Internet
Et elle ajoute en final, ce mot assassin:
J’estime qu’aujourd’hui ceux [qui travaillent] dans le journalisme ont une familiarité minimale avec le HTML, parce que nous sommes en 2013, et de ce fait ce n’est plus nécessaire de l’enseigner.
Visiblement, elle n’a pas lu l’étude sur les journalistes belges en 2013… [voir ci-dessous]
Notes
- Alice Antheaume, Le Journalisme numérique, Presses de Sciences Po, coll. Nouveaux débats, Paris, avril 2013, p. 36.
- Ceux qui suivent ce blog, se souviendront qu’Olga Khazan est cette journaliste de The Atlantic, qui avait proposé à Nate Thayer de reprendre sur le site un de ces articles en le remaniant, et tout cela gratuitement [lire Le journalisme après Nate Thayer].
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4. Autoportrait du journaliste belge
Certes, les résultats méritent d’être lues avec prudence, car l’enquête repose sur des données déclaratives et seul un tiers des 4.913 journalistes sollicités a répondu au questionnaire. Cette précaution mise à part, les résultats sont extrêmement intéressants, et ce d’autant plus qu’il s’agit de la première enquête de ce type.
On apprend donc ainsi pêle-mêle que la moitié des journalistes d’outre-Quiévrain vivent en couple, que tous n’ont pas d’enfant [un quart vit en couple sans enfant, par exemple], que leur salaire net mensuel moyen est de 2.167 euros, que les femmes sont moins payés, etc.
On découvre aussi que les journalistes belges [du moins ceux qui ont répondu à l’enquête] ont une vision très traditionaliste de leur métier. L’essentiel pour eux tient à la qualité de l’information. Plus des trois quart d’entre eux (77%) considère que « leur rôle le plus important est de fournir des informations fiables ». « Pour plus de neuf répondants sur dix, ajoutent les auteurs du rapport, « il est (très) important de présenter l’information de manière compréhensible (98%), d’apporter des informations objectives (94%), et d’analyser et interpréter les problèmes complexes (91%). » Mais ils en restent là.
Par exemple, ils entretiennent un rapport distancié avec le public alors que la « conversation » est l’une des clés du journalisme aujourd’hui. Ils ne sont que la moitié (51%) à trouver « important d’entretenir le contact avec le public et 44% estiment important de prendre en compte les commentaires du public sur leur travail. »
Il est difficile de ne pas faire le parallèle entre cette approche distanciée et la très faible utilisation des réseaux sociaux:
16% des journalistes publient tous les jours du contenu journalistique sur les réseaux sociaux. Plus de la moitié (56%) ne le fait jamais jamais ou seulement en de rares occasions. Les plateformes de microblogging telles que Twitter ne sont pas davantage utilisées: seuls 12% des personnes interrogées y sont actives quotidiennement. Il s’agit en grande partie de journalistes âgées de moins de 45 ans. La majorité (66%) n’y publie jamais rien. Enfin plus de 9 journalistes sur 10, toutes catégories d’âges confondues, ne diffusent jamais de contenu journalistique sur leur propre blog ou sur d’autres blogs.