C’est la semaine du lundi 4 au lundi 11 novembre 2013. Elle est consacrée exclusivement aux Assises [le retard de parution a été provoqué par le pont du 11 novembre].
Pour sa 7e édition, les Assises Internationales du Journalisme et de l’information avaient planté leur tente à Metz, en Moselle. Je ne vais pas me risquer à en faire un compte-rendu exhaustif, il a été remarquablement réalisé -notamment en live- sur le site d’Obsweb, par une soixantaine d’étudiants en journalisme. Pour ceux qui souhaitent plus de détails, ils y trouveront des entretiens avec différents intervenants et vidéos des ateliers ou des démonstrations; ils pourront aussi consulter le site des Assises.
Je propose donc un compte-rendu en forme de clin d’œil « à Buzzfeed« , ce site dont la version française a été lancée, le 4 novembre, la veille de l’ouverture des Assises avec les « 5 raisons d’espérer » et les « 5 raisons de s’inquiéter ».
Le sommaire d’une semaine exclusivement consacré à l’édition 2013 des Assises du journalisme
- les 5 raisons d’espérer
- les 5 raisons de s’inquiéter
- Le prix des Assises : Le Journaliste et l’assassin et Les Pages « politique »
- l’innovation est enfin une question centrale : que ce soit avec le concours lancé pour « réinventer le journalisme », la présentation d’expérimentations réalisées avec des drones, l’utilisation des appareils mobiles pour produire de l’information, l’utilisation de nouveaux outils informatiques, comme le programme informatique de fact-checking du Washington Post, le rapprochement avec les développeurs/hackers, la réflexion sur de nouvelles formes d’expression sonore, l’utilisation de nouveaux formats de narration comme le jeux [gaming], etc. et l’annonce de l’apparition de « lab » dans certaines rédactions ou groupes de presse, il a soufflé sur ces Assises un rafraîchissant vent d’innovation.
- la déontologie et l’éthique semblent enfin prises au sérieux. C’est en tout cas, le sentiment que l’on peut avoir à voir l’attention avec laquelle a été reçu le premier rapport de l’Observatoire de la déontologie de l’Information (ODI), consacré à l’insécurité de l’information [lire le rapport ici – Pdf]
- les citoyens peuvent avoir leur place dans l’information. Il en sera question dans un atelier, celui sur la TV sociale, et dans le Labo des projets, un concours initié par l’Upic. Ce dernier a été remporté par « enquête ouverte ». Ce projet [il serait plus juste de dire maintenant, ce Work in Progress] consacré aux « Résidences de tourisme » a commencé en mai dernier, grâce à une collecte réussie sur KissKissbankbank. Il s’agit d’une enquête participative, puisque les propriétaires de résidences de tourisme qui s’estiment lésés et souhaitent témoigner et ainsi enrichir cette enquête peuvent le faire grâce aux différents outils mis à disposition sur le site.
- La question du financement ne semble plus totalement insoluble. À côté des modes de financement traditionnels [publicité+abonnements, par exemple] de nouveaux modèles apparaissent et font la preuve de leur validité, que ce soit celui du mur payant [paywall] de Mediapart, le basculement vers le payant du Temps, un média suisse, de la création de nouveaux médias orientés papier et tablette comme La Revue Dessinée, sans compter sur la résilience de certaines formes de presse comme les hebdomadaires régionaux papier. [plus de détails avec l’interview de Michel Danthe, rédacteur en chef adjoint du Temps, sur Obsweb]
- Les journalistes n’entendent pas céder aux menaces. Derrière le très émouvant hommage rendu à Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux journalistes de RFI assassinés, ainsi qu’aux quatre confrères toujours retenus en otage en Syrie, c’est une profession unanime qui a souhaité montrer qu’elle entendait continuer à travailler y compris dans les zones dangereuses. Que cela faisait partie de sa mission d’information.
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2. Les 5 raisons de s’inquiéter
- la crise économique et sociale. le baromètre social a illustré —si besoin est— que le journalisme traverse une période de rupture. L’année 2013 est sans aucun doute une année noire, entre les licenciements « réalisés » et ceux qui sont annoncés, ce sont des centaines d’emplois qui sont concernés. Rien qu’en Presse quotidienne régionale, soulignait le sociologue Jean-Marie Charon, « ce sont 370 postes de journalistes qui vont disparaître, soit 6% des postes de journalistes en PQR ». [voir la « carte noire » réalisée par Rue89 sur ces suppressions d’emploi]. À ce problème d’emploi s’ajoute un réel mal être des journalistes, mis à jour par l’enquête réalisée par la Scam. [L’enquête, « De quoi vivent les journalistes » ici – pdf].
- la très (trop) lente appropriation des nouvelles techniques par les journalistes et les rédactions. J’ai été surpris de l’accueil fait à la démonstration de Nicolas Becquet, un jeune journaliste multimédia, lors de ces Assises. Non qu’elle n’ait pas été intéressante, au contraire. Il a bien montré les possibilités qu’offrait en terme de narration des outils comme les tablettes et certaines apps. Mais, il m’a semblé que beaucoup en découvrait le potentiel à cette occasion. Or, le smartphone est aujourd’hui un outil de travail quotidien dans de nombreuses rédactions [Ouest France, pour en rester sur un seul exemple]. Pour donner une échelle de temps, j’avais consacré un post à ce Meilleur ami du reporter en octobre 2011, il y a déjà près de deux ans! C’est désespérant…
- la technique, une passion étouffante? C’est le pendant du point précédent. Il était fascinant de voir les ateliers « techniques » comme la rencontre « hackers et journalistes », la présentation du programme informatique de fact-checking du Washington Post, ou encore la démonstration de drones, faire le plein tandis que les salles où se tenaient des ateliers comme « le droit à l’information en Europe » ou celui sur « la presse transfontalière », étaient désertées. Ce décentrement sur la technique, comme s’il fallait d’un coup rattraper un retard, est sans doute un point positif car il montre un appétit pour l’innovation, mais pour paraphraser un personnage célèbre, il ne suffit pas « sauter comme un cabri sur sa chaise, en criant drone!, drone! drone! » ou « fact-checking, fact-checking, fact-checking ». La technique n’est qu’un moyen au service d’un meilleur journalisme, elle ne saurait être un but en soi. Cette réflexion n’a été qu’amorcée au cours de ces Assises. Elle mérite d’être creusée.
- la question de la visibilité n’est pas résolue. À quoi sert d’innover, de produire des contenus d’une qualité étonnante à des coûts non négligeables si tout cela n’est ni connu ni partagé. L’atelier « Quelle radio demain », s’est révélé passionnant. On a parlé « régie virtuelle », son 5+1, nouveaux formats, que sais-je! Mais où peut-on écouter ces montages sophistiqués, ces reportages sonores où l’on n’hésite pas à envoyer une équipe de reportage, puis un dessinateur pendant une semaine en Algérie? Après la très brève période d’exposition en home, ces documents exceptionnels sont ensuite envoyés quelque part dans les entrailles des sites. C’est le cas à Radio France, mais pas que! La question de la visibilité sur la durée des contenus n’est absolument pas résolue. Or ne pas le faire conduit à réduire les sites à n’être que des médias de flux -en tout cas à être perçu comme tel-, des sortes de robinet à égrener une information sans consistance réelle. Pour l’anecdote, la seule réponse apportée par Anne Brunel, rédactrice en chef de NouvOson, la plateforme numérique de Radio France consacrée à la création sonore, a été de conseiller de s’abonner à la page Facebook [642 abonnés à ce jour] et au compte twitter [515 followers]. J’ajoute qu’il existe aussi un compte Soundcloud [16 sons en ligne à ce jour] et la bien discrète page sur le site de Radio France.
- les absents. Google, Amazon, Microsoft, Apple, Yahoo!, Facebook, Twitter… étaient absents. Il a certes été question de ces géants de l’informatique en « creux », mais est-il possible aujourd’hui de penser le journalisme et l’information hors de leur présence?
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3. Le prix des Assises
Chaque année, les Assises Internationales du Journalisme décernent trois prix destinés à distinguer les meilleurs ouvrages et la meilleure enquête sur le journalisme et sa pratique. Le jury cette année était présidée par Patrick de Saint Exupéry. [Précision: je suis membre de ce jury]
Concernant, les ouvrages « sur le journalisme » le choix du jury s’est porté sur un livre « canonique », Le Journaliste et l’assassin de Janet Malcolm, et sur une étude passionnante, Les Pages « politiques », du chercheur Nicolas Kaciaf, qui porte sur l’évolution des rubriques politiques des journaux. Dans la catégorie « enquête », c’est celle de Marion Quillard, Les risques du métier, publiée dans 6 Mois, qui a été élue, par un jury composé de 28 étudiants en journalisme. Elle est consacrée au travail des journalistes en Syrie.
Le journaliste et l’assassin
[Les éditions nouvelles François Bourin, 2013]
Le Journaliste et l’assassin a été publié aux États-Unis en 2000 1990, d’abord sous la forme d’un long article paru dans le New Yorker. Depuis, il est considéré comme un classique des livres sur le journalisme. Qu’il ait fallu plus de vingt ans pour que ce livre soit traduit et publié en France en dit long sur l’état de l’édition en France, mais passons… Heureusement, à sa lecture, on a l’impression qu’il a été écrit hier.
L’interrogation centrale du livre de Janet Malcolm porte sur le rapport ambigu entre le journaliste et sa source, sur « cet état d’anarchie morale » dans lequel il est obligé de travailler. Pour obtenir des informations, il va s’efforcer d’établir une relation de confiance avec la (les) personne(s) qu’il est amené à rencontrer, et pour cela n’hésitera à montrer de l’empathie vis-à-vis de tel ou tel, à affirmer trouver de l’intérêt dans des idées qui de fait l’ennuient profondément ou lui inspirent la nausée, etc. Il jouera ce rôle de composition, car « si tout le monde jouait cartes sur table, la partie serait vite finie ».
Nous sommes donc au cœur de la pratique journalistique, comme elle l’écrit magnifiquement:
ce qui se cache en réalité derrière cette histoire, ce qui se passe en dessous de sa mince surface, c’est le thème du vol prométhéen, une histoire terrible de transgression au service de la créativité, de vol comme condition de l’action.
Le plus dérangeant dans le livre de Janet Malcolm, est le fait qu’elle met à nu les ressorts profonds du journalisme. En fait, Jeffrey MacDonald, le « héros » que s’est choisi McGinniss n’est pas très intéressant, en tout cas qu’il n’y avait pas « matière à… « . Il aurait donc du abandonner car:
dès qu’un journaliste se trouve confronté à quelqu’un comme Henry (« naïf, sans aucun intérêt et totalement ordinaire » …), tout ce qu’il peut faire —puisque son travail est de raconter et non d’inventer— est de le fuir en espérant q’un sujet de livre plus intéressant se présentera bientôt à lui. Alors que le romancier en quête d’un héros ou d’une héroïne peut puiser dans tout ce qui constitue la nature humaine, le journaliste doit limiter son choix à un petit groupe de personnes à tendance exhibitionniste, qui aiment se raconter des histoires sur leur propre compte, et qui ont déjà fait sur elles-mêmes le travail auquel le romancier se livre sur ses personnages imaginaires: en bref, des personnes qui se présentent comme des personnages de roman prêts à l’emploi. [MÀJ : Henry dont il est question dans ce passage est Henry Zuckerman, un personnage du roman de Philip Roth, La Contrevie]
Pire, elle découvre que la qualité d’une interview ne dépend pas de la qualité du journaliste qui la conduit ou des techniques qu’il emploie. Elle compare une série d’interviews réalisée par un journaliste de quotidien Bob Keeler avec les siennes:
MacDonald et McGinniss avaient dit au peu subtil Keeler exactement les mêmes choses que lorsque je les avaient interrogés. Keeler avaient lu ses questions dans un liste préparée à l’avance, et moi, j’avais essayé d’avoir l’air à peine intéressée, mais cela n’avait pas fait la moindre différence. Dans le classeur bleu de Keeler, j’appris sur les sujets d’un livre la même vérité qu’un psychanalyste sur ses patients: ils sont prêts à raconter leur histoire à quiconque veut bien l’entendre, et leur récit n’est jamais affecté par le comportement ou la personnalité de celui ou celle qui les écoute. Exactement comme les psychanalystes (…), les journalistes sont eux aussi interchangeables. [souligné par moi]
- Le Journaliste et l’assassin est publié chez François Bourin, dans la collection Washington Square, dirigée par Julien Charnay. Une collection ambitieuse puisqu’elle se donne comme objectif de publier chaque année trois ou quatre ouvrages de ce que les Américains appellent des œuvres de non-fiction et qui n’ont pas encore été traduits en France. On se régale d’avance.
Les Pages « politique »
[Presses universitaires de Rennes, 2013]
Si nous relisions aujourd’hui, les pages politiques des journaux des années 1950, nous serions surpris et trouverions les longues colonnes grises qui les composent profondément ennuyeuses. Elles ressemblent alors fortement, écrit-il « sur un plan formel et stylistique, aux productions d’avant-guerre »:
elles demeurent régies par des impératifs d’enregistrement ou de publicité. Il s’agit bien de relayer les discours des acteurs, organisations, et institutions politiques les plus légitimes, et ainsi de se poser en intermédiaire entre la scène politique et le public de militants, d’administrés, de citoyens.
Tout au long de la IVe République, l’Assemblée nationale constitue le cœur de l’activité des journalistes politiques, et ceux qui sont accrédités à l’Élysée, institution sans réel poids sont :
de vieux journalistes banqueteurs et amateurs d’apéritifs dont le travail se bornait, au cours de ces voyages, à envoyer des télégrammes ainsi conçus: « Le soleil resplendit en l’honneur du Président, les cœurs battent à l’unisson, la liesse populaire est à son comble… prendre les discours dans Havas. Stop. »
Au Parlement, les rubricards sont spécialisés. On y croise
- le séancier [autrefois « chambrier »], chargé de rédiger les comptes-rendus. C’est lui (ou eux) qui fournissent l’essentiel de la copie de la rubrique
- le couloiriste, qui est l’héritier de l’échotier du XIXe siècle, dont le travail est ainsi décrit par Nicolas Kaciaf: « Les couloiristes acquièrent leurs informations par l’intermédiaire des parlementaires avec lesquels ils doivent entretenir des relations courtoises, fondées sur un principe de réciprocité, articulées autour de la règle du off. »
- le chroniqueur, en règle générale le chef du service politique du journal, qui à la charge —ou le privilège— de rédiger la « chronique » ou « l’article » de la rubrique. Mais attention, dans le monde hiérarchisé de cette presse, ce ne sont pas eux qui rédige l’éditorial.
Toute cette prose était-elle intéressante? On peut se le demander en lisant cet extrait de France-Soir du 4 décembre 1946:
Le vote a lieu à la tribune comme il se doit, et le défilé commence. Chaque député remet sa boule de contrôle aux scrutateurs, puis dépose son bulletin dans l’urne, à la garde de laquelle est préposé le benjamin de l’Assemblée. Tout se déroule sans le moindre accident. Jacques Duclos, en attendant les résultats, quitte son banc et va s’asseoir quelque instants auprès de M. Édouard Herriot pour discuter et passer le temps.
Arrêtons-là, cette plongée dans le passé. Le passage à la Ve République, l’élection du Président de la République au suffrage universel, l’émergence de nouvelles forces politiques, la transformation sociologique que connaît la France (les « 30 Glorieuses), l’importance croissante des médias audiovisuels, en particulier la télévision, vont profondément modifier le fonctionnement des services politiques des journaux. La presse « papier » perd progressivement la primeur de l’information, et donc « se contenter de reproduire des discours déjà connus du public et formatés pour être diffusés à la radio ou à la télévision est progressivement devenu insensé. »
D’autres changements se produisent. Alors que jusqu’au début des années 1980, par exemple, les covers des news « relatives à la compétition politique, à la politique internationale ou à un conflit social relayé sur la scène politique représentaient entre 60% et 80% des Unes. » Or, à partir des années 1980, que les lecteurs se détournent des pages politiques, à l’exception d’évènements exceptionnels comme les élections présidentielles.
Outre ce désintérêt de la part des lecteurs, les journalistes politiques vont rencontrer une concurrence interne de la part des journalistes d’investigation. Ils vont, écrit Nicolas Kaciaf, contribuer à bousculer leur identité professionnelle:
ce qui traverse ces rivalités, c’est bien une opposition entre deux définitions de l’excellence journalistique et deux types de rapport à l’univers politique. Pour les journalistes politiques, leurs collègues de l’investigation se poseraient illégitimement en « autorité morale ». Malgré eux, ils contribueraient à « servir l’idéologie de Le Pen », à « dépolitiser » le public, en entretenant notamment l’idée que les seules « vraies informations sont secrètes et cachées ». (…) Pour les journalistes d’investigation, les rédacteurs politiques sont « suspects de complaisance et de connivence avec les cercles du pouvoir ». Ils agiraient comme « porte-parole » de leurs sources et se comporteraient de façon déférente avec les élites. Par manque de curiosité, par facilité, par intérêt privilégié pour les points de vue officiels, ils ne favoriseraient pas la transparence nécessaire à la vie démocratique.
L’erreur serait de regarder les évolutions que connaissent les rubriques politiques comme si elles étaient le fruit —et l’aboutissement— d’une réflexion construite et assumée. En réalité, il n’en est rien. Par exemple la disparition des « comptes-rendus parlementaires » est provoquée par
une succession de micro-déplacements. (…) l’apparition de nouvelles rubriques a restreint l’espace autrefois réservé aux séanciers. Ces derniers ont donc été contraints d’abandonner leur prétention à citer de façon exhaustive les intervenants. (…) D’autre part, les nouvelles générations de rédacteurs ont également pu contribuer à moderniser le traitement des séances parlementaires par des innovations stylistiques mineures, des audaces non sanctionnées par les hiérarchies.
L’évolution du journalisme politique est la somme de ces micro-changements poursuivis sans discontinuer, alors que se succédaient quatre générations de journalistes:
- la génération historique, constituée des héritiers de la IVe, voire de la IIIe République ;
- la génération gaullienne entrée en journalisme entre 1955 et 1970. Ces journalistes sont marqués par la guerre d’Algérie. Sur le plan journalistique, ils vont dépoussiérer les « formats ». C’est à eux que l’on doit l’abandon progressif des comptes-rendus des séances parlementaires. Ils iront chercher leurs informations dans les cabinets ministériels et les états-majors des partis politiques peuplés de technocrates. Ils vont aussi légitimer l’emploi des sondages pour mesurer les évolutions de l’opinion publique, là où leurs aînés utilisaient le… « pifomètre ».
- la génération de la bipolarisation. Entrés dans le journalisme politique entre 1970 et 1984, ayant souvent connu un apprentissage militant, ces journalistes ont un intérêt pour les « batailles politiques ». Ce sont eux qui vont utiliser des techniques comme le « portrait », et accompagner ainsi la personnalisation du jeu politique à laquelle contribue la télévision alors en plein essor. Plus diplômés que leurs aînés, ils vont adopter « une attitude moins déférente vis-à-vis du personnel politique ». Ce sont eux qui vont contribuer au basculement —partiel— d’un régime de l’information institutionnelle« , c’est-à-dire « se faire l’écho de ce que veulent communiquer les organisations politiques », à un régime de l’investigation, c’est-à-dire « aller voir derrière les apparences du discours politique ».
- la génération des alternances, qui a intégré le journalisme après 1985. « Ils revendiquent, écrit Nicolas Kaciaf, pour la plupart une certaine ‘distance’ à l’égard du champ politique (…) ils endossent volontiers un statut d’observateurs curieux des mœurs politiciennes.(…) Ils affirment leur ouverture à l’égard des formes alternatives de politisation qu’elles soient associatives, locales, sociétales. »
L’étude menée par Nicolas Kaciaf s’est arrêtée en 2006. Elle ne couvre donc pas la dernière génération, celle qui a intégré les rédactions à partir de 2005, au moment où s’accélérait et se développait massivement le web, les mobiles (smartphones et tablettes) et les réseaux sociaux. Autant d’éléments qui ont profondément modifié tant le champ politique que les usages professionnels. En dépit de l’absence de ce chapitre qui reste à écrire, Les Pages « politique » conserve tout son intérêt, par sa dimension historique, mais aussi parce qu’il montre la somme de facteurs et d’interactions qui permettent au journalisme d’évoluer.
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