[the] media trend

L'invention de l'enquête en "live"

Tout commencera le 21 juillet 2010. À partir de cette date, les visiteurs du site allemand neon.de, pourront suivre la contre-enquête du journaliste Michalis Pantelouris, sur les circonstances du décès, en Grèce, d’une jeune chanteuse Susan Waade. Il s’est engagé à mettre en ligne en continu les résultats de son travail, les documents qu’il trouvera, les vidéos de ses entretiens, etc. Un choix de transparence qui est le fruit d’une réflexion mûrie: « Les journalistes travaillent devraient être accessibles par leurs lecteurs le plus directement possible », dit il.

Susan Waade
La chanteuse Susan Waade (D.R.)

Dans la nuit du 25 au 26 juin 2007, la jeune chanteuse berlinoise Susan Waade [photo ci-contre] meurt dans des circonstances troublantes à Athènes, en Grèce. Son corps ne sera découvert que le 30 juin. Il est agenouillé au sol, une écharpe de laine autour du cou accrochée par un foulard de soie à une poutre de béton. Aucune table, tabouret ou chaise, d’où elle aurait pu se jeter pour se pendre,  n’est retrouvé dans l’environnement proche. Pourtant, la police athénienne va conclure au suicide. La famille ne sera prévenue du décès que le 3 juillet, et découvrira avec effarement que Susan a déjà été enterrée dans le cimétière de Zougafru à Athènes.

Trois ans après le drame, Michalis Pantelouris, reçoit un mail de Marion Waade, la mère de Susan, lui demandant en substance de reprendre l’enquête. Ancien journaliste de faits-divers [Polizeireporter], il se montre d’abord extrêmement réticent. C’est pour lui peine perdue. Les autorités grecques ont clos l’enquête, et surtout pense-t-il, il se trouve face au cas classique où la famille ne veut pas admettre le décès de leur enfant. Un tel événement, sait-il d’expérience, « affaiblit considérablement la capacité de jugement ».

Mais il faut croire, que Marion Waade sut se montrer convaincante. Il reprend le dossier, trouve effectivement qu’il y a des lacunes, des pistes à suivre, bref, qu’il y a des questions, et « les questions c’est par cela que commence le journalisme ».

À partir de là que faire? Rester dans les canons du journalisme classique, c’est-à-dire choisir un angle: celui du « scandale » [une jeune fille a été assassinée et les autorités n’ont pas fait leur travail] ou un autre triste et accusateur, celui de la « tragédie sociale » [une famille de Berlin croit que sa fille a été assassinée et exige que la lumière soit faite] ? Cette solution, où l’on prédétermine un choix éditorial avant un travail de terrain ne lui semble pas adaptée. Plus grave, cela lui semble « une perte pour le journalisme et cela empêche le journalisme de contribuer au fonctionnement de la société comme il le devrait ».

Un parti-pris radical: jouer la transparence

Il se retrouve donc avec « une histoire qui mérite d’être racontée », mais qui n’a pas de fin, où il n’y a pas de thèse à défendre, pas de direction à suivre; « une histoire compliquée , étendue, difficile à saisir clairement, tout comme l’est la vie. »  Bref, « tout ce que n’est pas le journalisme ».

Michalis Pantelouris

C’est alors que naît l’idée du « livereportage » [c’est ainsi que M. Pantelouris la nomme], c’est-à-dire de raconter l’enquête telle qu’elle se déroule sans schéma préconçu, sans savoir exactement où elle peut conduire, avec le risque de passer dix jours [c’est le temps prévu pour l’enquête] à frapper à des portes qui restent désespérement closes, avec des interlocuteurs refusant de répondre. Mais c’est ici que le parti-pris de Michalis Pantelouris est radical. Il veut jouer le jeu de la transparence:

« Aujourd’hui, nous ne savons comment les journalistes travaillent (…) on ne peut pas vérifier quelles informations ils possèdent réellement, ni comment ils les interprètent. Les journalistes peuvent se sentir mieux ainsi, mais ce ne sera pas le cas nécessairement pour leurs clients, leurs lecteurs ».

À travers cette expérience, c’est bien le journalisme qu’il veut changer:

Je pense que les lecteurs (y compris moi comme lecteur) ont le droit d’instruire et de contrôler les journalistes. Mais la réalité est que les journalistes se racontent sans cesse entre eux des histoires fantastiques, ajoutant toujours cette phrase: « Ça ne peut pas être publié ». Au lieu d’être des fournisseurs d’information, ils se considèrent comme des gardiens ou des filtres. C’est le développement le plus nocif qu’ait connu le journalisme. »

L’enquête sera publiée sur le site participatif neon.de

Encore faut-il trouver un support de presse. Ce sera le site de Neon, un magazine du groupe Bertelsmann, via sa filiale Grüner und Jahr (1). Neon lancé en 2003, vise la cible des jeunes urbains âgés de 20 à 35 ans, et jouit d’un certain succès puisque ce  mensuel se vend —selon son éditeur autour de 240.000 exemplaires. (2)

Le site reprend certes le contenu du magazine, mais il est essentiellement conçu comme un site communautaire et participatif, dont les contenus (UGC) sont fournis et discutés par les membres de cette communauté. Dire que celle-ci accueillit avec enthousiasme l’expérience journalistique proposée par Michalis Pantelouris serait mentir. Les critiques vont se montrer particulièrement sévères, à l’exemple de  « Jack Black », « Je dis non à une telle forme de reportage! (…) une forme de journalisme qui est clairement à sensation (…) e n’est pas sérieux de votre part de vouloir présenter à vos lecteurs sur un plateau d’argent  la forme la plus primitive de journalisme ».

Des critiques qui sont loin de décourager Michalis Pantelouris. Mais maintenant place à l’enquête en live. À suivre sur ce lien [en allemand]

Pour aller plus loin:

Notes

  1. selon Stratégies, le groupe Prisma Presse, qui est la filiale française de Bertelsmann, préparerait une adaptation du magazine pour le public français. Le lancement serait prévu pour la fin de l’année 2010. Plus de détails sur Néon (version papier) dans cette interview croisée de Timm Klotzek et Michael Ebert, les deux responsables du magazine  [en allemand].
  2. signalons que le magazine a reconnu avoir publié 5 fausses interviews de célébrités, comme Christina Aguilera ou Beyoncé.
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