[the] media trend

Lecture #3: Terhi Rantanen, When News was New

Le concept de news a été défini au XIXe siècle, autour des notions d’actualité et d’objectivité. Il a été porté par les grandes agences de presse. Aujourd’hui, ce concept est en train de mourir. Une situation qui fait dire à la spécialiste des médias, Terhi Rantanen, dans son sombre mais intellectuellement stimulant, When News was New, « qu’hier est aujourd’hui ». 

Lorsque l’on tape « news » dans l’outil « traduction » de Google, on obtient 5 résultats: nouvelle, information, actualités, nouvelles, informations. Cette imprécision lexicale de la langue française ne permet pas de comprendre ce qui fait l’essence du livre, When News was New, de Terhi Rantanen, qui écrit: « Les news [je conserverai dans ce post ce terme pour éviter toute ambiguité] sont constituées d’événements, de sources et d’information ». Cette dissociation entre information, événement et news est essentielle.

Dans son livre, T. Rantanen montre à quel point la notion de news est plastique et dépend fortement des mutations de la société, de la technologie ou encore de l’économie. « Elle a du se réinventer a différents moments de l’histoire — des conteurs du Moyen Âge, aux agences télégraphiques du XIXe siècle, en passant par les blogueurs du XXIe siècle. »

Elle du même s’inventer. Lorsque le mot newes apparaît, au XVIIIe, « il s’applique librement aux écrits qu’ils décrivent des événements réels ou inventés, quotidiens ou supernaturels, et ce qu’ils soient récents ou datent de plusieurs décennies. » La distinction que nous faisons entre « fiction » et « non fiction » n’existe pas alors. 

Le temps et l’espace, les deux notions qui charpentent le livre 

Au Moyen-Âge, en Europe, l’émergence de l’écriture dans une civilisation alors essentiellement orale bouleverse la manière dont se mémorisent les événements, avec notamment l’apparition des Chroniques (Chronicles), « recension des événements organisée chronologiquement ». C’est l’irruption de la temporalité, dans un monde où cette notion était encore largement ignorée. Mais à cette même époque l’Europe spatiale est encore extrêmement distendue : aller de Nîmes aux grandes foires de Champagne prend 22 jours. Quant à l’annonce du décès de l’empereur Frédéric Barberousse [le 10 juin 1190], en Asie Mineure, quatre mois seront nécessaires avant que l’information ne parvienne en Allemagne.

Le télégraphe [développé dans la seconde moitié du XIXe siècle] va profondément modifier ce rapport au temps et à l’espace. Avant cette invention, « les news avaient toujours besoin d’un transporteur ». Ce n’est plus le cas. Mieux, « le télégraphe permet de synchroniser le temps local avec celui du méridien de Greenwich », et donc de dater précisément moment d’émission et moment de réception d’un message ou d’une dépêche. Un changement qui n’a rien d’anodin: dès lors la valeur des news se mesurera à leur fraîcheur et… à leur originalité.

La distinction entre news étrangères et news nationales est fausse

La transformation du rapport à l’espace est toute aussi importante: « Les marchés locaux [de l’information] se transformeront en marché nationaux, qui deviendront eux-mêmes des marchés globaux. Quand une news est envoyée d’un pays à un autre, elle traverse les frontières nationales et devient universelle car elle peut être utilisée partout. »

Pour le lecteur de news du XIXe cela se traduit littéralement par « un changement de décor ». T. Rantanen adopte cette expression neutre pour éviter toute connotation péjorative. En effet, à ses yeux, « le concept de lieu [place] est essentiel en sciences de l’information et de la communication ». Elle explique en particulier que nous prenons pour donné la distinction entre « news étrangères » et « news nationales« , alors qu’elle est fausse. Par exemple, Londres est plus proche de Paris que Marseille, mais les news en provenance de Londres seront étrangères, tandis que celle de Marseille seront nationales.

En clair, décrypte-t-elle « lorsque nous parlons de distance et de ‘surmonter la distance’, nous ne parlons pas seulement de technologie, mais aussi de distance culturelle ». Et puis, dit-elle, « le lieu [où l’on vit] est fondamental dans la façon dont le monde fait sens pour nous ». Or,  les news que délivrent les agences de presse « nous placent dans la contradiction d’être à la fois ‘ici et ailleurs’. »

Les villes-mondes contre les États-nations

L’histoire des news devrait donc d’abord être l’histoire des villes et non des nations. Avant l’invention du télégraphe, « l’échange de news était vital [pour les principales villes européennes] pour leur statut en tant que centre. Les villes les plus reliées entre elles  [networked] étaient aussi celles qui jouissaient de la plus grande influence: pour reprendre l’expression de Braudel, c’étaient des villes-monde. » 

Le télégraphe devait accroître cette tendance et faire de quelques cités —essentiellement Paris, Londres et Berlin—, des villes-globales. Mais cette évolution, qui faisait de certaines villes des « centres de news » va être contrariée par un fait: le télégraphe est dans la plupart des pays, propriété de l’État. Les agences vont donc devenir dépendantes des nations. C’est le début d’une relation « à double sens » entre les grandes agences et les gouvernements, chacun servant les intérêts de l’autre.

La « nationalisation » de l’information est remise en cause par Internet

Au même moment [vers la moitié du XIXe siècle], s’invente la notion « de description objective des faits », que porteront longtemps les grandes agences de presse. « Ce qui nous semble ‘naturel’ aujourd’hui, explique Terhi Rantanen, a été inventé il y a seulement 200 ans ». Auparavant, les news étaient « cosmopolites », en ce sens qu’elles ne subissaient aucune interférence due au poids d’une nation, même si d’autres acteurs intervenaient, et « par nature, elles étaient concentrées dans les grandes villes ».

C’est cette « nationalisation » de l’information, notamment à travers les grandes agences de presse, qui est remis en cause aujourd’hui par Internet: « Les organisations, les individus, et les médias eux-mêmes sont moins dépendants des agences d’informations nationales, mais peuvent relayer [les news] sur leurs propres réseaux, qu’ils soient internes aux villes ou relient les villes entre elles. »

Aujourd’hui, les news perdent leur valeur, qui était basée sur la rareté

Cette restauration de l’ancien mode de diffusion de l’information [ancien au sens d’antérieur à la création des États-nations] est la première modification que note Tehrhi Ratanen dans cet actuel « moment de l’histoire » que nous vivons, où se réinvente une nouvelle fois les news. L’hypertexte en est une autre, qui « change la structure des news« , en ce sens qu’existe maintenant une nouvelle « structure », le réseau Internet, qui ouvre sur des temporalités et des lieux multiples.

Le bouleversement est fondamental: « Les news sont aujourd’hui sans référence temporelle [timeless], car elles sont disponibles tout le temps. De ce fait, elles perdent leur valeur, qui était basée antérieurement sur leur rareté. Même si un premier article fournit un premier compte rendu sur un événement particulier, il est suivi immédiatement par d’autres articles. En conséquence, les news sont simultanément partout et nulle part. » 

La concept de news mis au point au XIXe siècle n’est plus opérant

Dans sa conclusion Tehri Rantanen nous place au cœur des réflexions actuelles sur le rôle du journaliste, mais aussi sur l’information, sa collecte, sa mise en forme et sa valeur. 

Et tout d’abord, dit-elle, il faut admettre que le concept de news est devenu très difficile à définir. Il est impossible en effet d’en rester à la définition du XIXe siècle, qui repose notamment sur les notions de « nouveauté » et d' »objectivité »; cette définition n’est tout simplement plus opérante. 

La différence entre news et événements disparaît. La situation ne devrait pas s’améliorer. Pour T. Rantanen, il serait d’ailleurs juste de parler aujourd’hui d’un « 5e pouvoir », composé des membres des services de relations publiques et de communication. « De nombreux événements politiques sont aujourd’hui newsed, avant même de devenir des news« , écrit-elle.

– Il devient difficile de distinguer news et information, en raison de la suppression de la différence entre news et événements et de la montée en puissance du « journalisme-citoyen ». Conséquence de cette surproduction d’informations, celles-ci ont du mal à être valorisées. Sans doute, les informations spécialisées (en particulier financières) pourront continuer à l’être, mais le problème porte sur le droit à l’information du grand public: « Nous ne sommes pas nécessairement très loin, avertit-elle, d’un temps où ceux qui détiennent le pouvoir pourront se permettre un service de news privé, tandis que les masses seront dépendantes d’une version moderne des ‘histoires nouvelles‘ médiévales ».

– la distinction entre news et commentaires s’effacent. En fait, dit-elle, la surabondance d’informations/news, génère un besoin de commentaires informés et éclairés.

– La distinction entre news et le divertissement disparaît. Cela ne se traduit pas seulement par le type d’informations/événements couverts [les peoples, etc.], mais aussi la manière dont les news sont présentées: Yahoo!, par exemple va recruter un « chanteur de news« . 

Et si « hier était aujourd’hui » ? Le journaliste ménestrel des temps moderne?

• Terhi Rantanen, When News was New, Willey Blackwell, Chichester (Royaume Uni) 168 pages,

Sur l’auteur : Finlandaise d’origine, Terhi Rantanen est actuellement professeur au Département Information et communication de la London School of Economic, (MEDIA@LSE) qui abrite le centre de recherche et forum de discussion sur le journalisme Polis dirigé par Charlie Beckett, auteur du remarqué SuperMedia. Celui-ci a d’ailleurs chroniqué When News Was New [lire ici].

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