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David Axe: "War is Boring" ou la vie d'un reporter de guerre en BD

Le début: l’aube se lève sur une plaine aride, à l’Est du Tchad. Une camionnette roule dans ce qui semble au sens propre un no man’s land. Le chauffeur aperçoit un homme, appareil photo autour du cou, sa caméra en équilibre sur son épaule. Arrêt. Le passager monte à bord. Présentations rapides: « Adrian Djimdim » — « David Axe, merci beaucoup. » La camionette repart. Le chauffeur est curieux « Pourquoi venez-vous au Tchad? » — « C’est une longue histoire ». War is Boring vient de commencer. Un témoignage rare et une réflexion dérangeante sur le reportage de guerre, auxquels le dessin de Matt Bors donne encore plus de force.

En première lecture, War is Boring est le récit en bande dessinée de la vie David Axe, reporter de guerre. Depuis 2005, il n’est guère de conflits —ou de zones de conflit— qu’il n’ait couvert: Irak [3 ans], Liban [après la guerre avec le Hezbollah], Est Timor, Somalie, Afganistan, Tchad… Freelance multimédia, il travaille aussi bien pour des radios, des sites internet, des télévisions, que pour des journaux papier. Des collaborations d’autant plus éclectiques, qu’à côté de titres « classiques » comme Wired, il accepte aussi de travailler pour des journaux comme le Washington Times, propriété de la sulfureuse secte Moon, ou d’autres plus spécialisés comme DTI, qui  est « le prolongement éditorial de l’industrie de l’armement ». Il est vrai que ce magazine spécialisé offre l’énorme avantage de pouvoir voyager partout « où il y a des armes et des gens qui les utilisent ».

Un choix librement assumé, car visiblement ce n’est pas l’argent qui motive David Axe. Par exemple, lorsque DTI lui demande de quitter la Somalie, « car notre juriste a classifié [ce pays] au niveau 5 de risque », il décide de rester en renonçant à la carte de crédit du journal, et d’essayer de s’en sortir avec des piges. « Ce sera serré, vraiment serré », dit-il. Tellement « serré », qu’il devra retourner vivre chez ses parents, à Detroit, faute de pouvoir continuer à payer son appartement.

En fait sa motivation est ailleurs, et d’abord dans cette volonté farouche d’être présent sur ces « lieux de conflit » pour témoigner. Mais elle est aussi dans un étrange rapport avec la mort. Lorsqu’il arrive en Irak en 2005, sans argent, il dit « j’avais des cartes de crédit et je n’ai jamais espéré survivre suffisamment longtemps pour devoir les rembourser ». 5 ans plus tard, il n’est toujours pas mort. « Je suis un porte-chance », dit-il maintenant aux soldats qu’il accompagne. Et de la chance il lui en a fallu pour échapper aux mines, aux tirs de roquettes et de mortiers… Et il continue…

Mais s’il n’est pas mort, d’évidence quelque chose s’est cassé, comme en témoigne la quasi impossibilité qu’il a maintenant de vivre chez lui en « zone de paix ». Il a cette phrase terrible, à son retour d’Irak. « Cela m’a pris trois jours pour réaliser qu’aussi ennuyeuse [boring] soit la guerre, la paix était encore pire. » Il ajoute dans l’épilogue de War is Boring ce constat sans illusion:

Plus je parcours le monde, moins il fait sens. Plus je rencontre de gens, moins je crois en leur humanité. Plus je vieillis, moins je me sens à l’aise dans ma peau. Nous sommes un monde en guerre, quelquefois tranquille, le plus souvent non. Nous sommes les plus habiles des monstres et nous mériterons tout ce qui nous arrivera.

Un exemple du graphisme de Matt Bors

Une scène qui résume le malaise ressenti par David Axe, à l’issue de son séjour à Beyrouth.

Notes

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