[the] media trend

Comment se construit un web-documentaire

Au Festival Européens des 4 Écrans (1), qui s’est tenu à Paris du 18 au 20 novembre 2009, j’ai participé à un atelier consacré aux « Coulisses de la création » d’un web-documentaire. Il était animé par Judith Rueff (2), l’une des fondatrices de l’agence multimédia Ligne 4, qui travaille à un ambitieux projet sur l’Europe. Comment se monte un tel projet? Comment passe-t-on d’une idée à un projet construit? Comment le finance-t-on? Cela se fait-il seul ou en équipe? Qui peut le diffuser? Voici l’histoire de la construction d’un web-documentaire. Une histoire encore inachevée.

En choisissant, comme thème, l’Europe, Judith Rueff n’a pas choisi la facilité, tant la construction européenne est considérée comme compliquée, éloignée des centres d’intérêt du public, bref peu vendable. D’ailleurs, lors des Assises Internationales du Journalisme de Strasbourg, un débat avait été consacré, le mercredi 7 octobre, à ce thème « Pourquoi l’Europe ne passionne pas. »

Ce web-documentaire est basé sur l’idée de « ponts » entre pays de l’UE et pays qui n’en font pas partie

Donc, première question, comment transformer un thème peu porteur en un sujet capable de capter l’attention d’un diffuseur, puisque Ligne 4 n’est, en l’occurrence, que le producteur?

« Nous avons décidé, explique Judith Rueff, de proposer à Arte une série de 9 reportages, basée sur l’idée de ‘pont’ entre un pays faisant partie de l’Union européenne et un pays n’en faisant pas partie. » Par exemple, l’un de ces « ponts » pouvait être un documentaire sur les bateaux qui transportent les travailleurs frontaliers français entre la France et la Suisse sur le Lac Léman, ou encore un écrivain allemand d’origine turque, etc.

« Dès l’origine, nous voulions une grande diversité, que ces ‘ponts’ soient physiques (les bateaux), culturels (l’écrivain), économiques, etc. », mais surtout insiste-t-elle « nous voulions traiter de l’identité européenne, et de toutes ses frontières, mais pas seulement de celles qui posent problème. Nous avons envisagé par exemple un ‘pont’ entre la Norvège et l’Islande. »

Arte ne veut ni d’un documentaire télé ni d’un CD-Rom

Reste à convaincre le « client ».

Celui-ci, Arte en l’occurrence, va se montrer très exigeant. Il existe au sein d’Arte un Comité des projets web, explique Thomas Baumgartner, aujourd’hui producteur des Passagers de la Nuit à France Culture, mais alors (il y a un an environ) responsable dans la chaîne franco-allemande. Cette structure informelle est chargée de passer à la moulinette les projets web soumis à la chaîne. En effet, explique Thomas Baumgartner, « Arte comme chaîne de service public a un rôle à jouer sur le web ». Elle entend donc soutenir un certain nombre de projets, un peu comme le fait en parallèle le CNC, avec sa direction du multimédia.

L’examen de passage de celui de Ligne 4 sera rude. Certes, en proposant une série de documentaires sur l’Europe, le projet rencontre ce qui fait le cœur de la chaîne franco-allemande. Comme il s’agit de vidéos, il rencontre aussi la définition que donne Joël Ronez [son blog [cup of tea] blog ici], le patron du pôle web, de ce que doit montrer le site web de la chaîne: « Arte fait de l’image qui bouge », dit autrement, de la vidéo et non de la photo, même sous forme de diaporama.

« Trouver une écriture qui corresponde à la fragmentation liée à Internet »

Mais voilà dit Judith Rueff, « en terme d’écriture nous ne collons pas. Avec votre idée ‘on pourrait faire une série TV’, nous dit-on. Nous devons donc trouver une écriture qui corresponde à la fragmentation [du récit] liée à Internet. » C’est le début d’une longue série d’allers et retours entre Ligne 4 et Arte.

C’est le début aussi d’une recherche d’interface de navigation. L’idée d’une carte de l’Europe, qui permettrait à l’internaute de circuler dans les documentaires et les autres documents proposés s’impose. Émerge aussi une idée de recto/verso, pays dans l’Europe, opposé à pays hors Union européenne, ainsi que des principes de navigation. L’idée directrice étant que « l’on passe de l’idée de fracture, de frontière, à celle de ‘pont' ».

Arte n’est toujours pas satisfait. Thomas Baumgartner: « Il fallait sortir de la logique du Cd-Rom ». Pour cela, deux nouvelles idées émergent: jouer sur la temporalité et renforcer l’aspect participatif du web-documentaire. « Celui-ci, dit-il, commencerait par le premier tweet et se terminerait par la diffusion du dernier film ». « Nous avions la volonté éditoriale, ajoute Judith Rueff, de ne pas nous contenter des seuls commentaires, mais d’ouvrir le débat et de le faire en direct. »

Une conception radicalement nouvelle

C’est l’évolution majeure du projet. Il implique de redessiner une nouvelle interface, mais surtout d’inscrire le web-documentaire dans une temporalité plus longue, et dans une conception radicalement nouvelle.

Une nouvelle étape « préparatoire » au web-documentaire proprement dit (de trois à six mois) s’avère nécessaire. Pendant cette période que l’on pourrait baptiser « phase 1 », les citoyens européens seraient appelés à contribuer via des blogs, des fils twitter sur le projet. Mais ils pourraient le faire aussi lors de débats publics (c’est-à-dire des débats qui ne se déroulent pas que sur le net, mais aussi qui soient « réels »). Pendant ce temps, l’équipe de Ligne 4 définit plus précisément les sujets des 9 documentaires, qui seront réalisés par 3 équipes de 2 journalistes.

« Pour nous, le web-documentaire, c’est tout cela »

Ensuite, on passe à la phase de réalisation proprement dite, qui doit durer trois mois, selon un calendrier précis de préparation, de réalisation et de diffusion des documentaires. Mais les internautes pourront dès le début suivre et discuter le travail des journalistes grâce à des fils twitter, des blogs dédiés et des pages facebook. Le tout se tenant en trois langues: le français, l’anglais et l’allemand.  « Les journalistes raconteront leur travail de préparation, le tournage. Le débat pourra faire évoluer le tournage, même si nous conserverons la direction éditoriale, les sujets ayant été définis en amont », précise Judith Rueff, qui ajoute : « Pour nous, le web-documentaire, c’est tout cela ».

Mais cette évolution majeure, implique qu’un nouveau partenaire, en l’occurrence un site d’information généraliste capable d’organiser des débats, participe au projet.

Pour l’instant nous en sommes là. Le projet n’est pas entièrement bouclé, il manque encore le partenaire presse, même si des discussions très avancées sont engagées, et le financement n’est pas entièrement finalisé. Pour l’instant, Arte financerait de 20 à 30% de ce web-documentaire, le CNC 50%. Il reste à trouver d’autres sources de financement pour cet ambitieux projet —pour le web— dont le budget tient dans une fourchette comprise entre 150.000 et 250.000 euros. On est loin des budgets télévision…

Notes

(1) Je renvoie sur le site du Festival Européen des 4 Écrans, qui donne toutes les informations utiles sur cette manifestation importante et extrêmement riche, et en particulier le palmarès des différentes compétitions qui se déroulent durant le Festival.

(2) Précision : Judith Rueff est une intervenante régulière de l’Emi-Cfd. J’ai tenu à assister à cet atelier, car si nous avions évoqué auparavant ce projet de web-documentaire, je voulais en connaître les détails de construction et de réalisation.

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