Débat : Journalistes et «googlo-dépendants»

Article publié le 25 janvier 2010

Débat organisé le 1er décembre 2009

Le moteur de recherche Google est un outil quasi incontournable du travail des journalistes, pour débuter une enquête, rechercher des données, dénicher un contact, pour confronter, vérifier une info… Il influe à l’évidence notre façon de travailler. Mais en sommes-nous réellement conscients ? Savons-nous vraiment comment fonctionne ce moteur de recherche ? Comment façonne-t-il l’information ? Comment les impératifs du référencement modifient l’écriture journalistique sur le web ? Y a-t-il un « Monde selon Google » ? Que faire pour éviter la googlo-dépendance ?…

Le débat Ça presse !, animé par Marc Mentré, a eu lieu le 1er décembre 2009 avec Nicolas Pélissier, chercheur à l’université de Nice-Sophia Antipolis, Mathieu Recarte, rédacteur en chef de Poptronicset Emmanuelle Defaud, front page editor à L’ExpressEn voici les principales interventions…

Marc Mentré : « Quelques rappels sur ce qu’est Google :

– Google a été fondé par deux étudiants mathématiciens, Larry Page et Sergei Brin, et il représente aujourd’hui un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros.

– Google possède aussi You Tube, de nombreuses régies publicitaires, dont DoubleClick, pionnier des outils de gestions de bannières publicitaires, et une série de logiciels dont les plus connus sont Android, un système d’exploitation pour téléphones mobiles et Chrome, un navigateur et nouveau système d’exploitation pour ordinateurs.

– Google a une double activité de search et de société commerciale, les deux étant interconnectées. La troisième activité est un réseau de partenariats et de services comme Gmail, Google document… Selon la définition qu’en donne son président Eric Schmidt, le but de Google est d’être « un service de masse qui touche le plus de gens possible par tous les services offerts. »

– Le moteur de recherche fonctionne en trois parties : d’abord des petits robots, les spiders, qui explorent les pages en suivant les liens entre les pages, puis ces robots recueillent des données qui sont indexées et stockées dans des fermes de serveurs – 1000 milliards de pages sont ainsi indexées – enfin, un algorithme extrait ces données et permet de les afficher. Le génie de Google c’est la page rank (de Page le nom d’un fondateur), ce qui définit la position des éléments dans les pages des résultats, ce qui fait le système de classement.

Plusieurs questions à aborder : comment la quantité fait-elle la qualité selon Google ? Comment les journalistes utilisent-ils ce moteur de recherche ? Les liens entre les requêtes et les publicités ont-il des incidences sur les résultats ? Y a-t-il une monétisation des requêtes ? Est-ce que Google influence l’information ?… »

Debat Ca Presse ! - Journaliste et Google
Nicolas Pélissier : "Comment gérer la surabondance d'information" - photo : Jean-Marie Heidinger

Nicolas Pelissier, chercheur à l’université de Nice-Sophia Antipolis et co-auteur de « L’entonnoir – Google sous la loupe des sciences d’information et de la communication », (C&F éditions, 2009)

« Je voudrais d’abord resituer la question de Google dans une problématique plus vaste, celle de l’histoire de la technicisation du métier de journaliste, et celle de l’évolution des sources des journalistes, de la numérisation croissante de ces sources. Ces questions essentielles sont très peu étudiées, même en Amérique du Nord, une boîte noire pour la recherche scientifique. »

Entre technicisation et standardisation de l’information

N.P. : « La normalisation de l’activité des entreprises de presse date d’un siècle et demi. C’est un processus historique qui a démarré en Amérique du Nord dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Par l’informatisation des entreprises de presse dans les années 70-80, et le raccordement au réseau numérique dans les années 90, ce processus s’est accéléré encore davantage. Aujourd’hui nous nous retrouvons dans une utopie imaginée au sortir de la Seconde Guerre mondiale par des scientifiques américains, les cybernéticiens, et qui a donné naissance à la machine intelligente, notamment l’ordinateur. Ils pensaient que tout système, humain ou technique, pouvait être appréhendé comme une machine à traiter de l’information, à l’exemple de Norbert Wiener dans son ouvrage « Cybernétique et société » parue en 1951. Les cybernéticiens avaient ainsi le rêve d’une société où l’information deviendrait la valeur et la matière première fondamentale. Avec Google nous y sommes. »

La figure du « journaliste ingénieur »

N.P. : « Depuis que les entreprises de presse se sont industrialisées et normalisées avec le développement du salariat chez les journalistes (loi de 1937), depuis que ce métier se technicise de plus en plus on parle des journalistes comme un métier de l’ingénierie. Récemment j’ai lu par exemple dans la brochure de présentation d’une école reconnue de journalistes : « Nous préparons les journalistes à devenir les ingénieurs de la société de l’information. » Nous sommes là aux antipodes de la vision d’un journaliste bohême, celui de XIXème siècle que l’on rattache à la presse littéraire ou d’opinion, quelqu’un qui n’avait pas un statut très clair dans la société, qui renvoyait plus au domaine des arts et des lettres qu’au domaine de l’industrie et de la technique. »

Une écriture de plus en plus calibrée

N.P. : « Cette évolution concerne aussi l’écriture journalistique. Les chercheurs qui se sont penchés sur cette question constatent que l’écriture est de plus en plus calibrée, formatée, rétrécie, avec une configuration formelle de plus en plus codifiée, sur le modèle des agences de presse qui semblent donner le ton, notamment sur internet. »

Une formation professionnelle de plus en plus technicisée

N.P. : « Rappelons que les premières écoles de journalistes ont vu le jour à la fin du 19ème-début 20ème : l’école supérieure de journaliste de Paris, l’école supérieure de journaliste de Lille, l’école de Columbia à New York… Pendant trois quart de siècles les contenus pédagogiques ont été centrés autour de l’enseignement des humanités : droit, sciences politiques, économie générale, histoire des idées… ce qu’on apprend aujourd’hui dans les Instituts d’Etudes politiques. Après guerre l’enseignement est devenu plus technique. Mais c’est surtout l’introduction des ordinateurs dans les salles de rédaction – qui s’est faite manu militari à la fin des années 70 – qui a entraîné le poids croissant des enseignements techniques notamment par les écrans. Aujourd’hui ce sont des centaines d’heures que passent les étudiants en journalisme à apprendre des logiciels de mises en forme des textes, de traitements des images, de montage numérique en radio, en vidéo… Il faut resituer la question de Google dans ce contexte de la technicisation du métier. »

La numérisation des sources des journalistes

N.P. : « Un journaliste distingue différentes catégories des sources en fonction des supports. Les sources orales (interviews, entretiens..), écrites (articles de collègues, archives, livres…) et de plus en plus électroniques. Il y a en fait deux catégories de sources électroniques : ascendantes et descendantes. Les sources ascendantes sont celles que le journaliste va aller chercher en naviguant sur internet en se laissant guider au gré de ses bonnes ou mauvaises rencontres ou en étant assisté par les fameux moteurs de recherche dont le numéro 1 est Google. Les sources descendantes qui prolifèrent de plus en plus au risque de la surabondance et de la saturation sont celles qui arrivent à mon ordinateur. C’est en particulier le principe de syndication dont le fameux fil RSS (really simple syndication) qui fait qu’au lieu d’aller tous les jours voir mes sites préférés, je crée un fil, un lien entre mon site et le site des autres. Toutes les infos remontent de manière automatisée en fonction d’un système de préprogrammation. Cela permet de plus en plus de personnalisation, selon le principe du marketing direct : les lecteurs vont lire « leur » journal, un journal à la carte, comme ils vont regarder « leur » télé avec la vidéo on demand (VOD). »

Vers une bureaucratisation du métier de journaliste

N.P. : « La première conséquence est la sédentarisation accrue des journalistes. En France, une enquête a montré qu’il y a une trentaine d’années, deux journalistes sur trois passaient l’essentiel de leur temps en situation de debout, en reportage et interview sur le terrain. Ce pourcentage s’est inversé. Aujourd’hui, seul un journaliste sur trois est en situation de terrain. On assiste à un phénomène de bureaucratisation des journalistes. »

Une réduction de l’effort cognitif de recherche

N.P. : « Avec les services de relations publiques et les communiqués de presse, les journalistes doivent déjà faire face à des sources guidées qui mâchent ou pré-mâchent l’information de manière à réduire leur effort cognitif. Avec la numérisation, les sources arrivent de manière de plus en plus automatique notamment sur la boite mail des journalistes. Au traditionnel fil des agences de presse se sont rajoutées une multitude d’informations ciblées auxquelles les journalistes sont abonnés. Le résultat est que l’on assiste de plus en plus à un phénomène de circulation plutôt que de création d’informations. L’information qui circule par les réseaux numériques est de plus en plus retraitées : de moins en moins d’informations originales et de plus en plus de reprises d’information de seconde main. C’est un travail de réécriture dont se plaignent beaucoup de journalistes à partir de sources extérieures. Sans compter que ces sources extérieures proviennent de plus en plus de sources non professionnelles (voir les films amateurs).

La nécessité d’une nouvelle écologie de l’information

N.P. : « Gestion des déchets, de l’abondance, de la surabondance, de la rareté, traitement et retraitement de l’information… tous ces termes venues de l’écologie s’appliquent aussi au domaine de l’information. Comment gérer la surabondance tout en tirant partie de la démultiplication de l’offre informationnelle ? Dans cette logique les moteurs de recherche comme Google ont un rôle spécifique. »

Vers un journalisme artificiel ?

N.P. : « En juin 2007, Google affichait clairement ses objectifs : « Les articles sont agencés de sorte que les informations les plus pertinentes soient communiquées en premier (…). L’originalité de Google Actualités tient à ce que nos résultats sont compilés uniquement à l’aide d’algorithmes informatiques, sans intervention humaine. De ce fait, les sources d’information sont sélectionnées sans aucun parti pris politique ou idéologique, ce qui vous permet de déterminer comment différentes sources traitent un même sujet. Cette diversité de perspectives et d’approches est unique parmi les sites d’information… » (SOURCE : Présentation Google News, juin 2007) On retrouve là une vieille idée des théoriciens de la cybernétique selon laquelle la machine peut faire aussi bien que l’homme et même mieux dans certains cas. Google se réapproprie là le leitmotiv des journalistes qui est celui de l’objectivité, de la recherche du point de vue le plus neutre… On est là dans l’hypothèse d’un journalisme artificiel. »

Etude de cas : la rédaction de Libé

N.P. : « J’ai réalisé en 2007 une enquête dans la rédaction de Libération, un quotidien qui a été parmi les premiers à s’informatiser, à développer un site web et une spécialité de journalistes web, qui pratique la biqualification, et qui a lancé un supplément multimedia… Dans cette rédaction qui se présente comme l’avant garde du journalistes web jai voulu savoir comment les journalistes percevaient un moteur comme Google. A priori on pouvait imaginer que ces journalistes affichent une distance critique vis à vis du web et soient réservés par rapport aux moteurs de recherche. Or, j’ai constaté qu’ils affichaient effectivement une réelle distance par rapport aux sources électroniques, notamment les blogs et les sites de journalisme participatif. Par contre, Google est considéré par les journalistes comme un outil pratique dont il n’y a pas de raison de se méfier. Extraits d’entretiens avec les journalistes : : « Avec Google les critères de recherche d’info sont devenus plus pertinents (…) Google reste la référence dans le domaine de la recherche d’infos », « J’utilise énormément et principalement Google (…) probablement en raison de ses fonctions de recherches avancées » ; « Je préfère Google parce que c’est plus puissant et la recherche y est plus facile » ; « Avec Google, j’arrive vraiment à trouver ce que je cherche… » »

Confiance et crédibilité

N.P. : « Quelques éléments qui expliquent la confiance qu’inspire Goggle :

– il y a d’abord une situation de quasi-monopole de Google en France (85 à 90 % de parts de marché en France contre 25 % aux Etats Unis) qui fait référence.

– Google développe une rhétorique pragmatique dans l’esprit du temps, celle de la cyberdémocratie, un discours libéral, libertaire, auquel Google croit vraiment. qui séduit notamment les catégories qui s’alimentent en infos sur le net. Pour les inventeurs de Google, Google est la machine la mieux à même de réaliser cette prophétie, de la machne qui fait mieux que l’ohomme

– Google a une interface rassurante. Un collègue sémiologue (in L’entonnoir) a montré que Google s’efface le plus possible sur sa page, avec la prédominance de la couleur blanche, le moins voyant possible, la sobriété, l’austérité. C’est une mise en scène d’une supposée ultra objectivité de l’information.

– Google a un niveau de satisfaction des usagers très élevé comme le montrent les enquêtes de satisfaction.

– Enfin, Google affiche une gratuité de surface. Les liens sponsorisés sur la colonne de droite sont certes visibles. Mais cette publicité apparaît secondaire aux utilisateurs de Google. Une enquête réalisée au Etats Unis il y a deux ans montrent que deux tiers des usagers n’identifient pas ces liens payants et ne font pas de différnece entre ses réponses publicitaires et les requêtes sur la page centrale. Il y a donc un illusion de la gratuité de l’information proposée comme si Google était une machinerie de service public de l’information alors que cette entreprise a des enjeux de big business. »

Pertinence ou relevance ?

N.P. : « Nombre de spécialistes de la documentation ont montré que les moteurs spécialisés en recherche scientifique sont plus pertinents que Google. Rappelons que Google fonctionne avec un algorithme relationnel inspiré de la communication scientifique, notamment le Science citation index (SCI). L’idée du SCI est de mesurer la notoriété d’un scientifique, donc la qualité, au nombre de ses citations dans les revues scientifiques internationales. On mesure la qualité à travers un outil quantitatif. Au début l’autocitation fonctionnait très bien notamment via les hyperliens internes. Le modèle a été raffiné mais il reste un outil quantitatif. »

Affluence ou influence ?

N.P. : « Est-ce parce qu’on a un très grand nombre de citations que l’on est pertinent ? Cet indice quantitatif sous estime la question déterminante de l’influence. On constate que Google favorise ceux qui sont déjà les plus forts, les plus connus. Le sociologue Pierre Bourdieu disait à propos du champ scientifique que le champ donnait du crédit à ceux qui en avaient déjà. Ca marche comme ça pour Google : on peut dire de manière un peu brut que Google renforce le pouvoir de ceux qui en ont déjà. Google favorise ceux qui ont déjà une certaine notoriété, favorise les sources institutionnelles, les porte-paroles, les attachés de presse, les grandes entreprises… »

Au cœur des usages : la formation.

N.P. : « Une formation sur les moteurs de recherche et sur Google en particulier, notamment sur la recherche avancée et les principes booléens (la parenthèse, le +, etc.) devrait changer la manière de les utiliser. Savoir notamment utiliser la recherche avancée et les principes booléens (les parenthèses, les +…). Rappelons aussi qu’il existe plus d’un millier de moteurs de recherche en dehors de Google. »

Matthieu Recarte lors du debat Ca presse! sur "Journalistes et Google"
Matthieu Recarte : "Google est un lieu de commerce" - Photo : Jean-Marie Heidinger

Matthieu Recarte, rédacteur en chef de Poptronics

Une position dominante qui ne fait pas débat

M.R. : « Il y a une dizaine d’années on voyait fleurir des articles incendiaires sur la position dominante de Microsoft et de Windows, avec tout un débat sur le pluralisme menacé. Or aujourd’hui la position dominante de Google n’est jamais interrogée. Rappelons que Google représente 90 % des requêtes en France et 80 % en Europe, que la fonction numéro de Google est la publicité, que 70 à 80 % du chiffre d’affaires publicitaire sur internet est aux mains de dix sites, dont Google, ou encore que Google est la quatrième capitalisation boursière de Wall Street. »

Rendre le monde meilleur…

M.R. : « Google c’est aussi tout une accumulation de données personnelles, via des extensions très pratiques comme gmail. Seulement il faut se rendre compte – quand vous faites un peu attention – que vos mails sont scannés par des robots qui génèrent des pubs. Il faut savoir aussi qu’avec Google doc, les documents peuvent être certes supprimés mais restent sur les serveurs de Google pendant plus d’un an : 1,8 millions de serveurs en 2009 contre 400 000 en 2006. Nous sommes donc face à une entreprise très puissante qui avance masquée avec a priori plein de bonnes intentions : Eric Schmidt, le patron de Google, expliquait récemment que Google essaie de rendre le monde meilleur, qu’il se sent une responsabilité morale pour nous aider dans cette crise qui traverse la presse pour s’informer… »

Préserver la pluralité des sources

M.R. : « Google Actualités est un site qui met en avant la quantité plus que la qualité. En utilisant Google comme un portail, on perd la diversité de points de vue qui fait la richesse d’internet. Car en dehors des grands titres de presse, l’internaute ne pourra pas accéder aux médias alternatifs dans leur globalité, juste en picorant quelques papiers de temps en temps. Le système de syndication (fil RSS) est le meilleur moyen de lire un média dans sa globalité. Quand vous passez par Google vous êtes comme dans un supermarché généraliste. Si vous voulez du précis, vous devez aller chez un détaillant c’est à dire un moteur spécialisé. La pluralité de sources sur internet ne s’enseigne pas assez aux journalistes. Pour les non professionnels, c’est pire. Comme tout journaliste, je fais des recherches via Google. Seulement il faut essayer d’avoir une ouverture. Pour une info spécialisée, le rôle des journalistes est d’être dans des carrefours. Ce qu’apporte internet c’est notamment la possibilité de faire du journalisme de lien qui permet de donner accès à des sources primaires, des rapports, des notes… une banque de données avec tel blog, tel site, essayer de diversifier ses sources d’infos. Google ne permet pas ça. »

40 % des internautes clique au premier lien de la première page

M.R. : « Il y un problème de hiérarchisation des infos qui n’existe pas chez Google. Un internaute sur cinq qui va sur un site d’infos vient de Google actu. Dans ces conditions, la question première pour l’éditeur c’est : comment se retrouver en tête de listes sachant que plus de 40 % des internautes clique au premier lien de la première page des résultats, 20 % au deuxième lien, 10 % au troisième, puis 30 % pour le reste. »

Un lieu de commerce

M.R. : « Le point central est que Google est une entreprise commerciale. Il crée des outils pour nous faciliter la vie, créer des réseaux, nous mettre en communauté,… mais n’oublions pas que ce qui fait vivre Google c’est la pub. C’est pour ça que vous ne verrez jamais Google faire la promotion du logiciel libre. Si vous utilisez Firefox vous avec un outil pratique qui va bloquer la pub. On est dans la méconnaissance, la confiance en l’internet et en Google car les outils proposés sont très bien faits, ils simplifient la vie, interface très sobre, ce qui fait son succès. Mais c’est un lieu de commerce. »

Affaire Murdoch, affaire à suivre

M.R. : « Le débat qui oppose Google et Rupert Murdoch (propriétaire du groupe News Corporation : Wall Street Journal, The Sun, The Times, …) est très intéressant à suivre. R. Murdoch est très énervé contre Google Actualités qu’il accuse de piller ses contenus rédactionnels. En effet, si vous allez par exemple sur le site du Wall Street journal vous aurez accès à un paragraphe d’un papier avant de devoir cliquer sur un formulaire d’abonnement pour pouvoir lire la suite. Si par contre vous passez par Google actu, vous avez un lien sur le même papier qui vous permet de le lire en intégralité et sans payer. Parce qu’en arrivant de l’extérieur, selon le principe du « premier clic gratuit », vous pouvez accéder à chaque article en intégralité, et lire ainsi la moitié du Waal Street Journal. Google Actualités rend service à l’internaute mais pas aux éditeurs. Murdoch menace de passer au tout payant et de sortir de Google en désindexant tous les sites de son groupe, éventuellement pour s’associer à Microsoft et son moteur de recherche Bing. Craignant une fuite vers Microsoft qui propose de rémunérer les éditeurs, Google y répond avec Fastflip, un logiciel développé avec une trentaine d’éditeurs pour mieux mettre en valeur leurs contenus. »

Emmanuelle Defaud lors du debat Ca Presse ! sur le "Journalistes et Google"
Emmanuelle Defaud : "Il y a un contrat à développer entre les internautes et leur site d'info" - Photo : Jena-Marie Heidinger

Emmanuelle Defaud, front page editor à lexpress.fr

Le curseur des priorités s’est déplacé vers l’urgence

E. D. : « Le trafic originaire des moteurs de recherche représente entre 40 et 60 % du trafic pour des médias comme lexpress.fr ou 20minutes.fr. C’est juste obnubilant pour certains journalistes qui, nécessairement, pensent de plus en plus en termes de référencement. Beaucoup de dépêches sont rédigées dans l’urgence pour être les premiers sur un sujet car on sait que c’est déterminant. La valeur journalistique ne disparaît pas pour autant, puisqu’on réfléchit immédiatement à la façon la plus pertinente de traiter le sujet dans un deuxième temps, mais le curseur des priorités s’est déplacé en raison de l’urgence.

Les sites d’infos ont un contrat à développer avec les internautes

E. D. : « Mon métier de front page editor, c’est-à-dire éditrice de page d’accueil, consiste à développer l’attachement des internautes à un site de presse. L’objectif est de faire en sorte que l’internaute ait envie non pas de passer par Google Actu mais d’aller directement sur mon journal car c’est là qu’il aura les infos qui l’intéressent, qui seront traitées de la façon qui l’intéresse. Car de la même façon que le lecteur de Libé, du Monde, du Figaro… a un attachement à son journal papier, il y a un contrat à développer et à entretenir entre les internautes et leur site d’infos, lexpress.fr. Pour se passer de Google, il faut que l’internaute soit suffisamment intéressé à mon site pour l’indexer à sa barre de navigation ou à son agrégateur de flux (netvibes). C’est un contrat à lier avec l’internaute pour qu’il se sente chez lui en tous les cas qu’il vive l’info telle qu’il le souhaite.

Des leviers pour fidéliser le lecteur

E. D. : « Comment différencier lexpress.fr des autres sites d’infos ? Il y a différents leviers sur lesquels jouer pour développer une fidélité du lecteur. L’objectif est de donner à lire un papier à valeur ajoutée au bon moment. Il faut se poser la question du moment de sa mise en ligne sachant que l’internaute surfe sur les sites d’infos principalement aux heures de bureau avec un pic à 9h, une bonne fréquentation toute la matinée, deux autres pics vers 13h puis vers 17h30 avant d’éteindre son ordinateur. Il faut donc aussi trouver un juste milieu entre la place donnée à l’actu brut (de la dépêche bâtonnée) nécessaires pour être réactifs et les papiers anglés à valeur ajoutée mais qui prennent plus de temps à produire, mais essentiels au journalisme. Enfin, je m’intéresse à la titraille et aux choix de sujets… J’ai travaillé auparavant à 20minutes.fr où nous avons par exemple développé un système de double titraille : une titraille sur la home page qui va jouer sur l’association image-titre avec des jeux de mots, des clins d’oeil au lecteur, le développement d’un ton, d’une connivence… et une titraille de papier qui est attachée au référencement.»

Donner une identité à un site de presse

E. D. : « Ce job de front page editor a été importé sur les sites d’info français par l’actionnaire principale de 20 minutes en Norvège (il existait déjà sur des sites portails comme AOL, ou Yahoo). Il se développe au Figaro et au Point. Il fait partie des métiers émergents dans le journalisme. Même si on reste lié au référencement, c’est un métier qui permet de faire exister l’info différemment et de donner une identité à un site de presse. »

Quelques liens sur le sujet…

http://www.observatoiredesmedias.com/2009/12/04/video-google-et-les-editeurs-de-presse-des-relations-loin-detre-sereines/

http://www.mondaynote.com/2009/12/13/not-on-the-same-page-ever/

http://www.mondaynote.com/2009/12/07/the-misdirected-revolt-of-the-dinosaurs/