[the] media trend

Assises du journalisme : 14 propositions pour une information de qualité

Au total, quelque 300 personnes, dont de nombreux journalistes, responsables de rédaction, éditeurs, mais aussi des universitaires, des représentants d’associations, des responsables politiques de tous bords et de nombreuses personnalités, dont Emmanuelle Mignon et Bernard Spitz —chevilles ouvrières des États Généraux de la Presse Écrite— ont participé à l’édition internationale des Assises internationales du Journalisme de Paris du 20 janvier 2009. Les participants ont adopté 14 propositions jugées « prioritaires », pour « garantir le droit de chaque citoyen à une information de qualité ».

Le 8 janvier 2009, le Livre Vert contenant les recommandations élaborées lors des États Généraux de la Presse Écrite avait été rendu public. Celles-ci méritaient d’être regardées d’autant plus attentivement que, tant les représentants du public, que les journalistes soit avaient été écartés de ces travaux, soit n’y avaient pas trouvé leur place, comme le Forum des Sociétés de Journalistes et plusieurs syndicats de journalistes.
Des propositions qui forment un tout cohérent
Cette situation a conduit à l’organisation d’une édition spéciale des Assises Internationales du Journalisme, qui s’est donc tenue ce 20 janvier 2009. Cette journée était organisée en trois temps, selon une formule « ouverte », puisqu’il suffisait de s’inscrire pour participer aux travaux:
• 3 ateliers de travail le matin, organisé chacun sur une thématique (Indépendance; Déontologie et relations au public; formation et amélioration des contenus) chacun élaborant des « propositions »;
• une séance de confrontation et de validation de ces propositions l’après-midi,
• une débat final sur  « le droit de chaque citoyen à une information de qualité », avec la participation de responsables politiques.
Les 14 propositions adoptées lors de ces Assises, qui sont un tout cohérent, sont désormais soumises au débat public, c’est-à-dire aux citoyens « sans qui rien n’est possible », aux éditeurs pour qu’ils s’engagent « dans les discussions qui permettront de les mettre en œuvre » et enfin aux politiques, car la presse est « aspect indispensable de notre démocratie ».
[Dans ce post, les propositions sont reprises in extenso, dans la formulation adoptée par les Assises]

Les 14 propositions

1) Donner un statut juridique à la rédaction
La rédaction est définie comme étant constituée de l’ensemble des journalistes professionnels travaillant pour une publication, ainsi que des pigistes journalistes professionnels.
Chaque titre (écrit, audiovisuel, multimédia) doit disposer d’une équipe rédactionnelle (ou rédaction) permanente et autonome. Ses représentants doivent bénéficier d’un statut leur assurant une protection équivalente aux représentants du personnel.
La rédaction doit être obligatoirement consultée par le directeur sur tout changement de politique éditoriale. Elle participe avec l’éditeur à l’élaboration de la charte éditoriale de la publication et se saisit de toute question éthique et déontologique, et de toute question qui ont une incidence sur la qualité de l’information.
Éditeur et rédaction peuvent définir ensemble tout point qu’il juge utile pour améliorer la qualité de l’information et restaurer la confiance du public.
2) Réaffirmer le statut du journaliste professionnel
Le journaliste professionnel est salarié d’une entreprise de presse et dispose d’un droit d’auteur sur sa production. Celui-ci ouvre des droits moraux et patrimoniaux:
• le droit moral lui permet de défendre l’intégrité de son travail;
• le droit patrimonial lui ouvre un droit à rémunération en cas de réexploitation de son travail.
3) Demander l’application du « blanc »
Le « blanc » est le fruit d’une négociation informelle, qui s’est achevée par la production d’un document qui permet de résoudre un certain nombre de difficultés concernant l’ouverture des droits patrimoniaux du journaliste. [Il s’agit d’un document très technique et complexe. Il est impossible de développer ici]

4) Inscrire dans la constitution elle-même le droit du public à une information honnête et de qualité.

5)  promouvoir la médiation
Définir un statut des médiateurs de presse garantissant la pertinence de leur action: mode de désignation impliquant un accord entre direction et rédaction; indépendance de toute
autorité hiérarchique; mandat délimité et inamovibilité; espace d’expression personnelle libre et garanti; exclusivité de toute autre fonction rédactionnelle; créer une capacité de médiation volontaire mutualisée pour les petites entreprises, avec un « corps de médiateurs » extérieur, et un label « adhérent de la médiation de presse ».
6) Inscrire dans la convention collective nationale un texte déontologique unique et fédérateur
Ce texte doit être négocié par les partenaires sociaux, avec la prise en compte des apports de la société civile et du public; promouvoir des chartes d’entreprise établies par accord entre les directions et les rédactions dans les différents médias.
7) Créer une instance nationale véritable et à ce titre refuser un simple observatoire des médias
alibi corporatiste pour empêcher une véritable instance utile; créer cette instance (conseil de médiation ou conseil de presse) compétente en matière d’éthique et de déontologie, tripartite (c’est-à-dire comprenant des représentants du public), ne prenant pas de sanctions disciplinaires, mais rendant des avis publics, et installée en complémentarité de la CCIJP (Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels) , avec son appui technique possible, mais indépendante de celle-ci.
8) Une connaissance des évolutions du journalisme
Doit être constituée une instance d’orientation des recherches sur le journalisme et les journalistes, qui puisse soutenir et coordonner les initiatives, développer une dynamique d’études scientifiques et techniques, et valoriser les résultats.
Cette instance devra inclure les institutions professionnelles paritaires (CCIJP, CPNEJ), les outils existants (l’Observatoire des métiers de la presse écrite, L’Observatoire des métiers de l’audiovisuel, les laboratoires universitaires, des centres privés de recherche), les pouvoirs publics (la Direction du développement des médias ; la Direction de l’Enseignement supérieur).
9) Une formation initiale minimale
La profession doit rester ouverte mais pour qu’elle soit de qualité, tout journaliste n’ayant pas bénéficié d’une formation initiale reconnue doit avoir droit, de par la loi, à une formation minimale et la suivre dans les trois premières années de son insertion professionnelle.
Le contenu de cette formation portera sur trois aspects :
• éthique, droit, déontologie, identité professionnelle;
• pratiques rédactionnelles (formation adaptée au secteur du journalisme);
• connaissance socio-économique des médias;
Le financement pourra être assuré soit au titre du plan de formation de l’entreprise soit en s’appuyant sur les DIF. Les pigistes et précaires (la très grande majorité des entrants) bénéficieront de ces financements.
Cette formation pourra être dispensée par les écoles reconnues par la profession. Elles pourraient faire des propositions communes et envisager un enseignement à distance pour une partie des cours.
10) La taxe d’apprentissage des journalistes pour les écoles reconnues
Les employeurs/éditeurs des entreprises de presse doivent verser la totalité du prorata de la taxe (correspondant à la masse salariale des journalistes) à un organisme unique chargé de la collecte et de la redistribution de cette taxe vers les écoles reconnues.
Cet organisme paritaire unique aura une double compétence : collecte et redistribution de la taxe en direction des écoles reconnues dans le cadre de la formation initiale, mais aussi financement des cursus/programmes de formation continue. Il pourra être adossé à un OPCA média. La clé de répartition de la taxe devra faire l’objet d’une discussion entre partenaires sociaux et écoles.
11) Des étudiants en journalisme plus nombreux et plus variés
Il faut augmenter le nombre et la diversité des étudiants formés au journalisme. Former plus d’étudiants (aujourd’hui seulement 15 % des nouvelles cartes attribuées annuellement, chiffres de la CCIJP ) de façon diverse (pas que l’information généraliste) est la seule manière de maîtriser la précarité à l’entrée dans le métier car être bien formé permet d’être embauché plus vite et d’évoluer dans le métier.
La profession doit demeurer ouverte, mais la formation ne doit pas être fermée au plus grand nombre. La CPNEJ reconnaît et évalue les cursus en veillant à leur qualité et à la diversité de l’offre globale de formation en France.
Un débat public, associant les partenaires sociaux, les écoles, le ministère de l’Éducation, sera ouvert pour réfléchir la cohérence des différentes politiques d’agrément des formations initiales (par la profession et par l’État).
Une réunion annuelle rassemblera, sous l’égide de la CPNEJ, les organisations d’employeurs, les syndicats de journalistes, et les écoles, pour réfléchir à l’ajustement de l’offre de formation. Ces réflexions devront notamment s’appuyer sur les travaux des observatoires de la profession et de la recherche.
12) Une plus grande diversité sociale et culturelle
Les écoles de journalisme doivent s’assurer que les candidats boursiers d’une part, issus de groupes culturels spécifiques d’autre part, puissent défendre leur chance au même titre que les autres à l’entrée en formation.
Sans empêcher les parcours singuliers et sinueux qui font aussi la diversité du métier (spécialisation préalable autre que le journalisme notamment), le niveau réel d’entrée devra tendre à être conforme au niveau théorique des concours (Bac ou Licence) afin que les boursiers ne soient pas pénalisés (par application des règles nationales de linéarité des cursus). Les écoles mettront en place des politiques favorisant la diversité culturelle des étudiants.
D’autre part, il conviendra de permettre à des personnes, aux parcours atypiques et n’ayant pu intégrer les cursus des écoles de formation initiale, de se professionnaliser. Des dispositifs qualifiants et certifiants pouvant relever de la formation continue devront leur être proposés. Il pourra s’agir de parcours longs et continus, modulaires (VAE) ou de contrats en alternance délivrant une qualification professionnelle reconnue par la profession.
13) Combattre la précarisation
Maintenir l’accès aux droits sociaux tels que définis par la convention collective pour les journalistes pigistes (8.000 en France), application entière de la loi (Cressard – 1974) permettant aux journalistes pigistes de bénéficier des mêmes avantages que les journalistes «horaires» (toutes dispositions conventionnelles).
Établissement de barêmes de piges dans toutes les branches de la presse écrite. Ouverture immédiate de négociations sous l’égide du ministère du Travail pour l’établissement de barêmes de piges dans toutes les branches de la presse écrite et ancrage des barêmes aux négociations salariales annuelles.
Création d’une commission pigiste au sein de l’Observatoire des médias pour étudier les conditions de travail (économiques notamment) des journalistes pigistes afin d’imaginer un dispositif permettant de rétribuer la flexibilité offerte par les journalistes pigistes aux entreprises de presse (coûts d’investissements et de fonctionnement non pris en charge).
Respect du droit du travail concernant l’usage des CDD et des stagiaires (indemnité de stage, CDD liée à activité exceptionnelle.)
Renégociation du statut des correspondants locaux de presse (30.000 en France) qui pour beaucoup en font aujourd’hui une activité principale voire unique.
14) Lutter contre l’information low cost
Lancement d’un dispositif incitatif pour préserver le journalisme d’enquêtes et de reportages (incitation fiscale et ou conditionnement des aides à la presse à l’importance de la production éditoriale de première main).
Soumission des cas de pillages des sources et contenus à une instance nationale de médiation (Conseil de presse).
• Autres sources d’informations : Journalisme.com, PressBook.fr, le blog des étudiants du CFJ, le site des États Généraux de la Presse Écrite
• Précision : Je suis partie prenante dans l’organisation et le déroulement de ces Assises, ayant piloté et ayant été le rapporteur de l’Atelier n°1 « Indépendance », dont sont issues les 3 premières recommandations.
Quitter la version mobile